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Valeurs identitaires et violences

Jean-Marie Barbier Formation et apprentissages professionnels UR Cnam 7529 Chaire Unesco ICP Formation professionnelle, Construction personnelle, Transformations Sociales

Publié le 14 avril 2022 Mis à jour le 21 avril 2022

Le constat des terribles violences imposées aux peuples en Europe et ailleurs, conjugué à l’affichage répété de ‘valeurs’, de quelque bord qu’elles soient, conduit à une question dérangeante : celle du lien entre exercice de violences et énoncé de valeurs.

Savonarole, frère dominicain, prédicateur et réformateur italien, qui institua et dirigea la dictature théocratique de Florence de 1494 à 1498.©pixabay

Savonarole, frère dominicain, prédicateur et réformateur italien, qui institua et dirigea la dictature théocratique de Florence de 1494 à 1498.©pixabay


Les mots ne sont pas seulement des catégories pour communiquer, ils sont aussi des catégories durables de pensée et d’action. Pour faire face à ces violences ne faut-il pas sortir du lien entre identités et valeurs, de plus souvent présentées comme de portée universelle ? Ne constate-t-on pas par exemple que les responsables de l’Europe n’hésitent pas à parler comme d’évidence de ‘valeurs européennes’.

LES VALEURS : UNE NOTION AMBIGUË

Dans la culture occidentale, le mot valeur revêt notamment trois types de significations (Préférences d’engagement, représentations finalisantes et valeurs signifiées, pp.115-166 et https://www.cairn.info/revue-projectique-2021-1-page-21.htm ). :

1. Des engagements d’activités  : on tend alors à parler de ‘valeurs en acte’, décrites comme ‘ce que le sujet, individuel ou collectif, fait en situation, indépendamment de ce qu’il pense qu’il fait, ou de ce qu’il dit qu’il fait. On peut également parler de préférences d’activités : ce qu’il importe de faire pour un sujet. Ces valeurs-en-acte ont un statut pré-sémantique, pré-linguistique, et se spécifient par l’introduction en situation d’un ordre, d’une hiérarchie entre activités. Valeurs-en-acte et préférences d’activité supposent un renoncement à d’autres activités possibles dans le même moment. L. Lavelle définit la préférence d’activité comme « l’attribution de la valeur, l’opération par laquelle se constitue cet ordre hiérarchique qui montre la valeur à l’œuvre ». Bateson utilise aussi la notion d’ethos pour caractériser un groupe humain dont les membres peuvent partager, souvent à leur insu, les mêmes façons, les mêmes ‘manières’ physiques et sociales de se comporter, à l’inverse de communiquer/transmettre. Les valeurs- en-acte, les préférences d’activités, ne se transmettent donc pas par des discours, mais par la participation à des activités communes, ou mieux encore par des émotions partagées par et dans ces activités. Les valeurs-en-acte ne s’apprennent pas ; elles se vivent.

2. Des conjonctions d’affects et de représentations  : on tend à parler alors de valeurs éprouvées, ressenties : ce qui, aux yeux des sujets, vaut ‘la peine’ ou ‘le coup’ d’être fait par eux dans une situation donnée.

puce de liste manuelle (fleche) Ce sont des représentations : elles impliquent la présence à un sujet d’objets absents de leur environnement et de son activité de transformation du monde physique et social. Elles supposent la présentification d’activités et d’objets absents hic et nunc : expériences passées, éventuelles activités futures. Elles permettent d’établir des liens entre passé, présent et futur.

puce de liste manuelle (fleche) Ce sont aussi des affects, c’est-à-dire des transformations de tendances d’activité affects. Elles sont adressées par les sujets à eux-mêmes et pour leur action  : ces représentations finalisent l’action du sujet. Ce sont des conceptions du désirable pour ces sujets, qui ordonnent choix d’objectifs, stratégies, modes et moyens d’action. On peut parler de fins ou de finalités : ce sont des constructions de sens attribués à l’action. Elles permettent aux sujets l’attribution à leurs yeux de qualités à des objets, à des situations, à d’autres sujets, à des événements ou à des actions. Ce sont des représentations finalisantes indexées d’un indice de désirabilité pour le sujet qui les construit et les utilise. Pour L.Lavelle (op.cit) le propre de l’évaluation, c’est de déterminer la valeur d’une chose, et caractère ne peut apparaitre que dans son rapport avec ‘nous’. La marque de ce travail est la présence d’activités mentales d’attribution : Dewey parle de « valuation ». Ce travail de représentation a souvent pour enjeu une alternative d’activités pour le sujet.

puce de liste manuelle (fleche) Pour ordonner l’activité, elles font l’objet d’un travail d’élaboration par itération avec les représentations factuelles, finalisées, fonctionnelles de la situation. Polin définit la fin comme « une valeur choisie et chargée (…) d’une intention pratique (…) les fins sont des valeurs réévaluées ». Plus forte est la présence d’une alternative d’activités pour le sujet, plus le travail d’élaboration est important. Pour Curie « s’il y a eu engagement, il y a eu dépassement d’un conflit » (2002, Journées deBordeaux sur l’engagement).

puce de liste manuelle (fleche) Elles ont un rapport étroit avec la représentation que le sujet se fait de lui-même-en-activité et en situation, avec les contours de son moi . La conscience de soi est une conjonction établie par un sujet en situation entre la représentation qu’il se fait de son activité et la représentation qu’il se fait de lui-même comme sujet de cette activité.

puce de liste manuelle (fleche) Ces conjonctions d’activités mentales et d’affects sont dotées de cohérence, d’unité. On est dans le monde de la construction continue de sens par les sujets concernés, les actions étant précisément définies comme les ensembles d’activités dotées d’unités de sens par les sujets en activité. Elles établissent un lien ; elles relèvent d’une approche holiste de l’activité humaine.

3. Des dires sur le faire

puce de liste manuelle (fleche) Les valeurs professées, signifiées à autrui peuvent être décrites comme ‘ce que je dis ou ce que je communique sur ce qui anime mes engagements d’activité’. Elles apparaissent par exemple dans des situations d’échanges à des fins de représentation mutuelle entre personnes, institutions, organisations publiques et privées, et même entre Etats. Au niveau collectif, c’est le cas des communications internes et externes d’entreprises ou de collectivités, ou des communications politiques. Au niveau individuel, et notamment en formation, ce peut être le cas des situations d’analyse des pratiques, à l’occasion desquelles les participants parlent souvent davantage ce qu’ils veulent faire que de ce qu’ils font. Dans ce genre de situations, un discours ou une communication-en-acte (quand on ‘montre l’exemple’) sont opérés par ceux qui l’énoncent ou en font ostension, sur les ’valeurs’ qui sont censées les inspirer. Nous parlerons de valeurs professées ou de valeurs signifiées à autrui ; ou même de signifiées à soi-même « comme un autre » selon la formule si suggestive de Ricoeur (https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585 ).(https://theconversation.com/afficher-ses-valeurs-une-presentation-de-soi-94310 .

puce de liste manuelle (fleche) Ce sont bien des communications. Pour Montaigne, la parole est à moitié à celui qui écoute, à moitié à celui qui parle (couplage d’activités). Les valeurs professées n’appartiennent pas au monde des constructions de sens des sujets qui les énoncent, mais à l’univers des significations qu’ils proposent à leurs destinataires. C’est moins leur contenu qui compte que la fonction que leur donnent ceux qui les énoncent, et l’interprétation qu’en font ceux à qui ils s’adressent.

puce de liste manuelle (fleche) Ces communications sont doublement des images : des images d’activités et en même temps des images de soi proposées à autrui. En fait, ce sont des ostensions de soi à autrui, par le biais des images proposées des activités dans lesquelles les sujets se disent engagés. L’énoncé sur ses propres valeurs, individuelles et/ou collectives, est souvent une démarche d’affirmation d’un ‘je’ ou d’un ‘nous’, et une stratégie de pouvoir, comme on le voit dans les différentes formes de nationalisme. Cet énoncé/ostension rentre ainsi dans les stratégies de positionnement réciproque des acteurs/sujets, comme on peut le voir dans toutes les formes de conflit qu’on cherche ainsi à légitimer.

puce de liste manuelle (fleche) Au niveau collectif l’échange sur les valeurs est un moyen très efficace pour accroitre la cohésion d’un groupe social par rapport à ses partenaires/adversaires et par conséquent pour accuser les divisions entre ces partenaires. L’affirmation de valeurs est souvent un outil de positionnement des groupes sociaux/acteurs collectifs ; on est alors proche des notions de culture et d’identité collective. Dans les situations de conflit entre groupes humains, on voit significativement réapparaitre des discours surinvestis en valeur. C’est encore hélas le cas avec les dramatiques conflits internationaux prenant des prétextes de valeurs alors que les intérêts en jeu n’ont rien de religieux ni de culturel.

UNE AMBIGUÏTE FONCTIONNELLE

1. L’ ambiguïté de la notion de valeur n’est pas un hasard .

Si dans une interaction sociale, un locuteur en position dominante communique de façon unilatérale sur les valeurs censées inspirer son action, comme c’est souvent le cas dans les métiers de la société, qui consistent à agir sur l’activité d’autrui, s’ouvre alors un espace qui permet d’entretenir la confusion entre engagements d’activité, représentations et affects qui les accompagnent, et valeurs professées par ce sujet. Les valeurs professées par ce sujet sont présentées comme ses attributs, et comme les caractéristiques par lesquelles il demande à d’être identifié, qu’il s’agisse d’un acteur individuel, comme dans toutes les formes d’élitisme, ou collectif comme dans toutes les formes de nationalisme.
Or, à la différence de ce que présuppose le langage, qu’il soit politique, institutionnel, organisationnel, ou plus généralement social, les valeurs déclarées ne fondent pas les activités , elles’ fondent’ les références des activités , c’est-à-dire qu’elles jouent un rôle dans l’établissement d’un lien discursif entre l’ensemble axiologique dont ce locuteur s’imagine être porteur et la désignation qu’il opère de son activité. Autrement dit, les références ne font que participer à la construction des discours sur les activités, et notamment des discours évaluatifs  ; elles ne participent pas directement à la construction des activités proprement dites.
Se trouve en fait en jeu une confusion fréquente entre significations données par les acteurs en position dominante et sens construits par les acteurs en position dominée (Martine Dutoit). La signification imposée par l’acteur en position dominante sature le sens en construction de la part de l’acteur en position dominée. Les significations données par le premier prennent la place des sens construits par les seconds, alors que la présence de ces derniers joue un rôle essentiel à la fois dans l’envie d’engager sa propre activité (‘y aller’), et dans la représentation de soi-en- activité (‘s’y retrouver’).
Et si l’on définit par violence identitaire l’intention sociale d’ influencer les activités d’un acteur dans un sens où il ne se reconnait pas comme cause de sa propre activité et de sa propre transformation, on peut analyser ces interactions sur les valeurs comme autant d’occasions d’exercer ce que P.Bourdieu appelait la violence symbolique, c’est-à-dire le pouvoir d‘imposer un système de pensée comme légitime à une population ‘dominée’. Les ‘valeurs’ se donnent alors à voir comme l’expression la plus haute de la culture au sens social du terme, c’est- à - dire ce qui est commun à un groupe d’individus, ce qui le soude, et mérite le plus d’être transmis.

2. La même ambiguïté affecte la notion de savoirs

Comme les valeurs, les savoirs sont considérés comme susceptibles d’être ‘appliqués’ dans les pratiques ou a minima de les ‘éclairer’. Ils jouent un rôle identificatoire dans la culture européenne, susceptible de jouer un rôle dans sa cohérence d’ensemble.
Cette ambiguïté est liée à leur double statut : d’une part ce sont des énoncés, c’est-à-dire des entités discursives conventionnellement associées à des représentations ou à des systèmes de représentations sur le fonctionnement du monde et sa transformation. D’autre part, ils sont indexés d’un jugement de valeur, d’une validation sociale se situant habituellement sur le registre du jugement de vérité (vrai /faux) ou de l’efficacité (efficace/inefficace).
Les savoirs sont issus de mécanismes d’objectivation sociale ; et dire d’un énoncé qu’il constitue un savoir revient à lui conférer un statut social auprès du destinataire de la communication. M. Lesne a montré dans l’univers pédagogique la fécondité de lier rapport au savoir et rapport au pouvoir.
Les ‘experts’, placés à la suite des ‘savants’, seraient eux aussi placés en haut de la hiérarchie des intervenants, et ignorent les liens de dépendance qu’ils entretiennent à ceux qui leur confèrent un tel statut : J.Ardoino n’avait-il pas l’habitude de s’amuser de la proximité des mots espagnols perito (expert) et perrito (petit chien) ?

3. Valeurs et savoirs ont un point commun : ce sont des énoncés qui font l’objet d’un processus de ‘’substantialisation’.

La substantialisation est le processus par lequel les catégories construites pour nommer les entités du monde finissent par remplacer les entités du monde qu’elles nomment, par les transformer en en-soi. Ceci est valable pour de nombreux termes relatifs à l’activité. Les acteurs qui utilisent la terminologie de l’activité pour conduire leur action et échanger sur leurs interactions finissent par ne pas se rendre compte qu’ils confondent activité et formalisation de l’activité . Cette confusion affecte de nombreux courants scientifiques et pédagogiques contemporains qui font précisément de l’analyse de l’activité le graal de la recherche en formation et en sciences sociales.
Ne faut-il pas analyser les liens entre valeurs et savoirs pour mieux comprendre les rapports entre cultures et violences, entre valeurs identitaires et exercice de violences ?

PEUT-IL Y AVOIR UNE ENTREE ‘VALEURS’ EN RECHERCHE ?

1. Une entrée épistémologique : le paradigme de la transformation conjointe

Si des difficultés apparaissent dans les méthodes de travail tendant à faire des valeurs les fondements ou les causes des activités, il est peut-être utile de s’interroger sur deux paradigmes habituellement présents, souvent à l’insu des acteurs comme c’est souvent le cas des paradigmes, dans la pensée et la recherche :

  • - Le paradigme théorie-pratique qui tend à installer ‘dans les esprits’ une hiérarchie de liens entre discours, pensée et action
  • - Le paradigme même de la causalité qui tend à installer ‘dans les esprits’ la relation de détermination comme voie majeure d’interprétation des réalités physiques et sociales. (on parlait même, dans les années 70, de surdétermination…)

L’influence conjuguée de ces deux paradigmes a pour effet de privilégier une relation de causalité dans l’interprétation des rapports entre : - énoncés ou transformations de significations, - pensée ou transformations de représentations - et transformations du monde.
A ce double paradigme peut être substitué un paradigme de transformation conjointe des énoncés, des représentations et des entités du monde .
Autrement dit, nous pouvons faire l’hypothèse que c’est à la fois et dans un même mouvement que se transforment - des énoncés sur le monde et sa transformation - des représentations de transformations - et des transformations du monde physique et social elles-mêmes.

2. Entrer par les ‘valeurs’ dans les recherches en identification ou établissement de données

Les recherches en identification sont des recherches qui ont pour résultat la production d’informations sur des faits, des événements, des témoignages, des observations . Bref, des recherches qui produisent des matériaux empiriques.
La conséquence est simple : ces recherches ne confondent pas valeurs-en-acte, valeurs représentées (représentations finalisantes) et valeurs professées.
L’accès aux valeurs-en-acte n’est pas différent de l’accès aux émotions et aux transformations d’activités qu’elles opèrent. Les ‘émotions fondatrices’ qui caractérisent certains parcours de vie ne sont pas différentes des ‘valeurs de vie’ reconnues par autrui à des sujets dont les parcours de vie sont particulièrement cohérents avec ces émotions.
Les valeurs représentées et les valeurs professées sont plus facilement accessibles par les méthodes habituelles de sciences sociales fondées sur la production et l’analyse de discours.

3. Entrer par les ‘valeurs’ dans les recherches en intelligibilité

Les recherches en intelligibilité produisent des liens entre des faits, des données qu’il s’agisse d’énoncés, de représentations ou d’événements physiques et/ou sociaux.
Lorsqu’elle s’intéressent par exemple aux ‘mentalités’ les recherches en intelligibilité peuvent produire des liens entre mentalités et actions sans les considérer forcément comme des liens de causalité linéaire. C’est à quoi s’est attachée notamment l’histoire des mentalités (Vovelle), ou de grandes oeuvres comme l’Ethique protestante et l’esprit du Capitalisme de Weber, ou encore Architecture gothique et pensée scolastique de Panofsky (Editions de Minuit, Le sens commun) . Au niveau plus individuel c’est ce à quoi s’attachent par exemple certaines formes de recherche clinique.

4. Entrer par les ‘valeurs’ dans les recherches en optimisation https://www.innovation-pedagogique.fr/article7389.html et https://www.innovation-pedagogique.fr/article11010.html

Les recherches en optimisation sont des recherches à orientation prescriptive ou axiologique, c’est à dire qu’elles produisent des énoncés sur ce qu’il est possible/souhaitable de faire dans l’action. Loin donc de mettre à distance valeurs professées et représentations finalisantes (objectifs, projets, évaluations), elles font de leur explicitation un outil des démarches de recherche. L’objectivation de la subjectivité est la rigueur propre de ces démarches de recherche. L’explicitation des représentations et des valeurs professées par les acteurs joue un rôle fonctionnel dans la démarche de recherche 117-119.

PEUT-IL Y AVOIR UNE ENTREE ‘VALEURS’ EN FORMATION ET CONSTRUCTION DE SOI ?

La question de l’entrée ‘valeurs’ ne se pose pas seulement en recherche, elle se pose surtout en formation et construction des actions/identités par et dans l’expérience. On est alors dans le vaste domaine des retours d’expérience. Plusieurs distinctions peuvent être alors utiles pour les approcher.

1. Faire expérience/ construire l’expérience/ communiquer l’expérience
La ‘fabrication’ par le sujet de sa propre expérience suppose donc trois types de questionnement de statut différent, comme nous l’avons vu à propos des valeurs :
puce de liste manuelle (fleche) Ce que le sujet vit comme lui advenant dans l’exercice immédiat de son activité : perceptions, ressentis, émotions. Ce qui arrive au sujet. Nous pouvons parler du vécu de l’expérience, qui peut être défini comme les transformations immédiates perçues par le sujet dans l’exercice même de son activité. Il est en lien avec la constitution du « soi ». Le sujet vit ses préférences d’activité qui peuvent dont être utilisées comme telles : les situations où je me sens bien…
puce de liste manuelle (fleche) Ce que le sujet fait, en adresse à lui-même, de cette expérience vécue. C’est « ce que je fais de ce qui m’advient ». C’est ce qui fait « sens » aux yeux du sujet, par mise en relation entre représentations issues de l’activité en cours et représentations issues d’autres épisodes d’activité. Ce que je ressens comme sens durable de mon activité. Ces représentations sont adressées au sujet qui se représente. L’élaboration d’expérience suppose une action de pensée du sujet sur sa propre activité. Elle est l’ensemble des constructions de sens que les sujets opèrent à partir, sur et pour leur propre activité durable, qu’ils reconnaissent comme leurs, en lien donc avec leurs attributions identitaires. Elles sont en lien avec la constitution du moi et décrites par exemple par l’expression « ça me parle ». Le moi est une représentation évaluative par le sujet de ses propres ressources, de son pouvoir d’agir.

puce de liste manuelle (fleche)Ce que le sujet dit de qu’il lui advient, ce qui suppose une interaction avec autrui sous forme de communication. Communiquer, c’est mobiliser un ensemble de signes dans intention d’influer sur les constructions de sens d’autrui.
La communication d’expérience implique le rapport qu’un sujet entretient avec d’autres sujets à propos de son activité : compte-rendu, récits, histoires, narrations.
Jérôme Bruner s’est particulièrement intéressé à la narration comme principal outil de mise en ordre de l’expérience.
La communication d’expérience ne se limite pas à des discours, elle peut consister en actions comme lorsqu’il s’agit de « donner l’exemple ».
La communication d’expérience contribue de façon déterminante à l’affirmation du « je » (identité narrative de Ricoeur). Les nouvelles affirmations de « je » peuvent conduire à des reconstructions de biographies.

2. Entrer par l’expérience
Accéder à l’expérience suppose donc moins une logique de méthodes applicatives que le recours à des inférences sur ce que les méthodes produisent en réalité chez le destinataire davantage que sur ce qu’elles disent produire, en conformité avec le privilège donné au point de vue d’acteur.
Vivre une expérience étant par définition un processus éminemment personnel, son accès ne peut être qu’indirect comme l’organisation de situations de rappel, de mise en mot, ou d’inférence.

puce de liste manuelle (fleche) Le rappel
Une première voie expérimentée par les sujets eux-mêmes est très certainement l’émergence dans certaines situations différées de constructions mentales relatives à des perceptions antérieures : ces situations provoquent soit l’évocation directe de l’expérience antérieure en soit encore l’organisation délibérée par le sujet de situations de rappel de cette expérience.
Ces situations peuvent être analysées comme des situations de revécu, que nous pouvons définir comme des situations dans lesquelles une émotion spécifique réengage le sujet dans un travail de réactivation de l’expérience première…
L’émotion dans ces situations de rappel d’expérience peut être définie comme une rupture ou suspension d’activité conjuguée à l’ouverture d’une action de transformation de sens caractéristique de la fabrique de l’expérience.
puce de liste manuelle (fleche) Le récit
Une seconde voie d’accès à l’expérience est constituée par les récits d’expérience.
Ces récits peuvent prendre plusieurs formes. Des récits d’expériences organisés sous forme de narration : l’expérience est verbalisée en présence d’autrui, mais sa narration participe à l’élaboration mentale de l’expérience, le sujet lui-même est à la fois locuteur et destinataire de l’expérience. Par des récits d’expérience dans le cadre de partages ou de confrontations d’expériences avec autrui : par des leçons d’expérience correspondant à la formalisation et à l’affirmation sociale de cultures d’action.
puce de liste manuelle (fleche) La confrontation à des traces d’activités
Une troisième voie complémentaire d’accès à l’expérience consiste encore dans le repérage de traces d’activité et la confrontation individuelle et collective des sujets à ces traces d’activités. C’est particulièrement le cas des procédures dite d’auto-confrontation simple ou croisée.

VALEURS, EXPERIENCE ET CONSTRUCTION DE SOI

Loin donc de la répétition de référence aux valeurs, en lien souvent avec des attitudes de conservatisme personnel et social, c’est probablement le retour sur l’expérience, individuelle et collective, qui nourrit de façon plus précise les actions de construction de soi, c’est-à-dire les actions intentionnelles de transformation de soi. Le ‘connais-toi toi-même’ des Grecs, inscrit sur le temple de Delphes, se décline en reconnaissance de son propre parcours de vie, à des fins de connaissance et d’action.

Des médecins comme Lacassagne n’ont-ils pas voulu proposer à ceux que nous avons l’habitude d’appeler de grands criminels d’écrire des récits de vie ?


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