"S'il te plait, dessine-moi..."

Nous sommes ainsi nombreux à nous émerveiller que l’esquisse de quelques traits, pas toujours assurés, posés à la mine de plomb, au stylo bille, à la plume, à la craie, au pinceau...  sur une simple feuille blanche, qui peut d’ailleurs parfois n’être qu’un simple ticket de métro, un  petit  bout de nappe en papier ou un modeste galet, puisse  révéler autant d’émotions. Des sensations graves et des burlesques, des images oniriques et des réalistes, des idées abstraites et des figuratives, des situations dramatiques et des cocasses...  

Au Conservatoire, pour les besoins de multiples projets, nous avons la chance de pouvoir rencontrer et de travailler avec de nombreux illustrateurs et illustratrices. Souvent parce qu’un simple dessin est beaucoup plus évocateur d’un long texte, qu’il permet de  dédramatiser une situation en la rendant intelligible et compréhensible au plus grand nombre,  qu’il offre un niveau de lecture différent et vient ainsi soutenir et renforcer une démonstration. Ce n’est pas un hasard si les initiatives de diffusion de  la culture scientifique et technique utilisant l’illustration sinon la bande dessinée se multiplient : la série Tu mourras moins bête de Marion Montaigne, les albums La planète des sciences  de  Bouzard et  Antonio  Fischetti  ou  Sciences en bulles  de  la Fête de la science, la collection La petite bédéthèque des savoirs du Lombard, certains reportages de La revue  dessinée ou de Topo pour les plus jeunes, le concours et la publication éponyme  Ma thèse en 2 planches… Il y a là, nous en sommes persuadés, un champ d’expérimentation quasiment infini pour raconter la science autrement, pour  dévoiler  ce que signifie être  une chercheuse ou un chercheur, ce que se passe dans un laboratoire, ce qu’on y fait  concrètement  et comment on  le fait, ce que l’on y découvre aussi.  C’est aussi un médium qui se prête parfaitement, non pas nécessairement à accompagner tous les publics vers un goût immodéré pour la science, mais plutôt à sensibiliser sur l’importance et la légitimité de son apport dans le débat démocratique, et plus largement dans la compréhension de notre vie quotidienne et du monde qui nous entoure.  

 Au-delà de toute ces  considérations, ce que l’on aime aussi lorsqu’on travaille avec des  dessinateurs  ou des dessinatrices, c’est d’avoir l’occasion  de  regarder  d’un œil  émerveillé,  et  quasiment en direct,  toutes les étapes  nécessaires  qui, du croquis à la colorisation, donneront naissance à l’illustration finale.  Ce fut par exemple le cas avec Julien Flamand, auteur de bandes  dessinées, avec qui nous avions réalisé il y a quelque années un parcours au sein du Musée des arts et métiers  autour de la notion d’erreur  afin d’expliquer aux enfants, et aux moins jeunes aussi, que se tromper était  naturel.  Parmi les quinze objets sélectionnés pour  une plongée dans l’histoire des sciences et des techniques,  où l’erreur est omniprésente car  inhérente au processus de création  et d’avancée  scientifique,  il y avait  le laboratoire de Lavoisier.  

 Comment ça ? Vous ne connaissez pas Antoine-Laurent Lavoisier ?  C’est pourtant le père de la chimie moderne, discipline  qu’il bouleversa autant par  ses  découvertes  sur les composants de l’air et de l’eau, l’état de la  matière, l’oxydation... que par  l’établissement d’une véritable  méthode  scientifique ou  la mise au point d'instruments  de précision.  Témoin de  son travail  et de son intérêt pour toutes les sciences,  son laboratoire  est une sorte de capharnaüm où l’on retrouve une variété infinie d’instruments aux noms évocateurs : des aréomètres, des calorimètres, des gazomètres... Aujourd’hui, il a été reconstitué au deuxième étage du musée, comme s’il venait à l’instant de le quitter.  Et c’est ce qui a justement inspiré Julien Flamand...

Le croquis

© Julien Flamand

«  La  première étape c’est évidemment de trouver une idée qui va fonctionner visuellement, tout en respectant la commande : faire des illustrations qui parlent à tout le monde à destination d’un public familial. Pour le cabinet de Lavoisier, j’ai eu envie de travailler sur le contraste entre le côté sérieux qu’on prête habituellement aux scientifiques et la décontraction d’un homme dans son bain. La baignoire permet aussi de faire un clin d’œil aux recherches de Lavoisier à travers la vapeur qui s’en échappe. Et, avec le petit canard jaune, sa présence dédramatise la représentation commune du laboratoire d’un chimiste : une pièce toute blanche, aseptisée et bien rangée. Cette situation m’a fait sourire, ce qui est primordial puisque je suis mon premier public. J’ai donc réalisé un croquis très rapide pour valider le principe avec l’équipe. »  

Le crayonné  

© Julien Flamand 

« Une fois le principe validé, le crayonné est l’étape qui donne réellement vie et forme à l’illustration. Le dessin se fait plus précis, les différents éléments se mettent en place. Pour cela, j’ai rassemblé beaucoup de documents, et notamment des photographies du cabinet de Lavoisier conservé au Musée des arts et métiers. Au cours de mes recherches, j’ai aussi trouvé la reproduction du tableau de Marie-Anne Paulze. Elle avait une bonne tête, et c’est pour ça que je l’ai intégré dans mon crayonné, alors qu’au début sa présence ne devait être suggérée que par une bulle. Même pour la baignoire, j’ai fait des recherches afin être le plus réaliste possible. Une fois que j’ai toute ma documentation, je commence par un dessin très rapide au crayon rouge puis j’ajoute les détails au crayon noir. »

L’encrage  

© Julien Flamand  

«  Troisième  étape l’encrage. Je travaille sur un format A3, afin d’avoir une illustration précise et un original de grande taille, en me servant d’une table lumineuse. J’utilise plusieurs tailles de feutres pinceaux et de stylos afin de faire ressortir les différents plans et de construire la perspective. Les hachures, plus ou moins foncées, permettent de commencer à poser une ambiance qui prendra toute sa signification lors de la colorisation. Dans cette illustration, l’objectif était de faire ressortir l’idée d’accumulation... c’est pourquoi j’ai essayé de mettre le plus d’objets possible du véritable cabinet de Lavoisier, tout en conservant une certaine lisibilité. »  

La colorisation  

© Julien Flamand  

« La dernière étape est celle de la colorisation par ordinateur avec Photoshop. Il faut trouver une ambiance de couleur et déterminer d’où vient la lumière pour mettre en valeur le personnage principal. Après, chaque objet est mis en couleur. Et, dernière petite touche, j’ai ajouté de la vapeur d’eau au-dessus de la baignoire pour finaliser l’ambiance. »  

À l’occasion de ce projet, Julien Flamand s’était  aussi  prêt é au jeu de l’interview où l’on parle  évidemment  de science dessinée, il y a  neuf  ans  déjà..., mais aussi  des objets du Musée des arts et métiers,  de son parcours et de son travail.  Une interview  à  (re)regarder  d’urgence !  

Ariane  Batou-To Van & Yvan Boude