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Le Maroc : cap au Sud
Sabine Jansen, maître de conférences en histoire au Cnam
Depuis une dizaine d'années, le Maroc mène une vaste offensive diplomatique. Il profite d'un contexte régional favorable, avec l'affaiblissement de l'Algérie et la lutte contre le terrorisme, pour développer son soft power - sa puissance d'influence - dans tous les domaines, y compris religieux, en direction de l'Afrique subsaharienne, au plus grand bénéfice de ses entreprises.
Véhicule de l'équipe vainqueur de l'édition 2011 du rallye Aicha des gazelles @Konuzelmann Thomas / CC BY
En janvier 2017, l’Université de Pennsylvanie, dans son classement annuel mondial des think tanks, plaçait le PCNS, Policy Center for the New South, think tank marocain, au premier rang de ses homologues du Maghreb et au neuvième rang des 90 think tanks de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord. Adossé au puissant Office chérifien des phosphates (3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 20 000 salariés), le PCNS est né en 2014, parrainé par l’Institut français des relations internationales. Il est actuellement dirigé par Karim El Aynaoui, économiste influent, passé par l’université de Bordeaux puis la Banque mondiale, et conseiller du PDG de l’OCP, Mostafa Terrab. Quasiment inexistants au Maroc avant les années 2000, ces laboratoires d’idées sont aujourd’hui une quinzaine et couvrent tous les champs des sciences sociales.
Le soft power au cœur de la politique extérieure
Ces instituts se veulent des lieux de discussion des grands enjeux sociétaux du royaume. Pour autant leur vocation extérieure ne doit pas être négligée. Ils participent d’une stratégie générale de développement du soft power marocain, voulue en haut lieu. Après Mohammed V, organisateur de la conférence de Casablanca du 4 janvier 1961, Hassan II a soutenu la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA devenue Unité africaine) et définit l’identité de son pays par le biais d’une métaphore arboricole éloquente : « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe. » La vocation africaine du Royaume chérifien se heurte cependant à de nombreux obstacles, en particulier à la question du Sahara occidental, qui l’oppose à la République arabe sahraouie démocratique (RASD), soutenue par l’Algérie voisine et l’Afrique du Sud. Cela a conduit, en 1984, le Maroc à se retirer de l’OUA, qui a reconnu la RASD. Depuis lors, le royaume a privilégié les relations bilatérales.
Le roi Mohammed VI, s’inscrit dans cette continuité mais il a donné à la diplomatie marocaine une nouvelle impulsion1. Avec 51 visites royales depuis 2002 et 952 accords signés avec les pays africains, le Maroc renoue avec une tradition séculaire d’échanges avec le Sud. Constatant l’échec de la politique de la chaise vide, il réintègre l’Unité africaine en janvier 2017 et vise l'adhésion à la Cédéao. Les buts sont triples : favoriser les entreprises marocaines, très offensives (le Maroc est le premier investisseur en Côte d’Ivoire devant la France) notamment dans le domaine des banques et de l’assurance ; conforter ses frontières au Sud ; assurer sa sécurité et la stabilisation régionale en promouvant contre le wahabisme grâce à l’autorité du roi, commandeur des croyants, un islam ouvert, de rite malékite reposant sur le soufisme.
Télévision, think thanks, formation... comme leviers d’influence
Pour parvenir à ses fins, le Maroc joue à plein la carte de l’influence usant de vecteurs classiques comme Medi1, chaîne detélévision d’information, mais aussi de leviers plus originaux, comme ses think tanks qui parient sur le pouvoir des idées et les réseaux de l’expertise. Les conférences Atlantic Dialogues, EuroMeSCo, principal réseau de think tanks sur la politique et la sécurité en Méditerranée, ou celle de la World Policy en attestent. Au-delà, le pays investit dans la formation, accueillant des étudiants africains (9 000 en 2017), mais aussi des cadres militaires (1 100 officiers) et des imams, de plus en plus nombreux à sortir de l’Institut Mohammed VI.
Le Maroc se veut un « pont » entre monde atlantique et monde médi- terranéen, entre Europe et Afrique, entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne, entre musulmans et chrétiens. Le controversé Pacte de Marrakech sur les migrations de décembre 2018 en est un exemple. Le royaume n’est sans doute pas encore la « puissance relationnelle » qu’il aspire à être mais il s’efforce de s’en donner les moyens.
1 : Voir les études à l’IFRI d’Alain Antil sur Le Royaume du Maroc et sa politique envers l’Afrique subsaharienne, nov. 2003, Le Maroc et sa « nouvelle frontière » : lecture critique du versant économique de la stratégie africaine du Maroc, 2010 et celle de Jean-Yves Moisseron (avec Jean-François Daguzan) à la FRS, Les ambitions régionales marocaines en Afrique sub- saharienne : une diplomatie royale, octobre 2017.
L'auteure
maîtresse de conférences habilitée en relations internationales, chercheuse au Lirsa.