« Build back better » : Joe Biden pourra-t-il appliquer son programme économique?
Isabelle Lebon, Université de Caen Normandie et Thérèse Rebière, Cnam
Le 14 décembre 2020, le collège électoral a officiellement désigné Joe Biden 46e président des États-Unis. Son mandat débutera le 20 janvier 2021. C’est dans ce contexte que les négociations entre Démocrates et Républicains se poursuivent dans l’objectif de trouver un accord sur le plan de relance de l’activité économique et de soutien aux ménages impactés la crise sanitaire.
Le 14 décembre 2020, le collège électoral a officiellement désigné Joe Biden 46e président des États-Unis. Son mandat débutera le 20 janvier 2021.
C’est dans ce contexte que les négociations entre Démocrates et Républicains se poursuivent dans l’objectif de trouver un accord sur le plan de relance de l’activité économique et de soutien aux ménages impactés la crise sanitaire.
Mais au-delà des mesures d’urgence liées à cette crise, la question de la capacité du président élu à mettre en œuvre son programme économique demeure. S’il est assuré d’une courte majorité à la Chambre des Représentants, la marge de manœuvre de Joe Biden en la matière dépend, en réalité, de la future composition du Sénat.
Une incertitude sur la majorité au Sénat
Suite aux élections du 3 novembre 2020, les Républicains disposent de 50 sièges au Sénat contre 48 pour les Démocrates, 2 sénateurs restant à désigner pour la Géorgie. Aucun des candidats n’ayant obtenu 50 % des suffrages au premier tour, chacun des deux sièges de Géorgie sera remis au vote lors d’un second tour organisé le 5 janvier 2021, entre les deux candidats arrivés en tête.
En cas de double victoire démocrate, la majorité au Sénat reviendrait au « parti de l’âne » grâce à la voix la vice-présidente Kamala Harris, présidente ès qualités de la Chambre haute. Mais un tel résultat reste peu probable, le premier tour ayant donné une courte majorité au candidat républicain sur l’un des sièges. Les Républicains conserveraient donc le contrôle du Sénat, ce qui leur permettrait de limiter la capacité d’action du futur président, notamment en matière budgétaire.
Faute de majorité au Sénat, Joe Biden sera contraint de constamment négocier avec les Républicains les moyens de sa politique économique. En cas de désaccord persistant, le futur président devra contourner le Congrès en signant des ordres exécutifs présidentiels, des executive orders, pour mettre en œuvre ses réformes.
Cependant, l’usage des executive orders réduirait la pérennité et la portée des mesures : la pérennité, car ce qui a été instauré par l’executive order d’un président peut facilement être défait par l’un de ses successeurs, contrairement au contenu d’une loi ; et la portée, car un executive order ne peut ni entrer en contradiction avec les lois existantes – ce qui rend impossible toute réforme de fond – ni concerner les questions budgétaires, recettes et dépenses étant décidées par le Congrès. Qu’il négocie ou qu’il « ordonne », Joe Biden ne sera pas en mesure de réaliser la totalité de son programme face à un Sénat contrôlé par les républicains.
Produire américain dans le respect de normes environnementales renforcées
La priorité du programme « Build Back Better » de Joe Biden est l’augmentation de la production et de l’emploi manufacturiers aux États-Unis.
Cette préoccupation rejoint celle de son prédécesseur Donald Trump, à qui elle permettait de justifier aussi bien les mesures de dérèglementation environnementale que les droits de douane imposés à l’Europe et à la Chine. C’est sur la méthode que les deux présidents divergent. Joe Biden envisage, en effet, de relancer l’industrie américaine à travers un plan d’investissement dans des secteurs liés aux nouvelles technologies, de la voiture électrique à la 5G.
700 milliards de dollars d’aides sont prévus au cours des quatre prochaines années : 300 milliards consacrés à la recherche et développement et 400 milliards aux achats publics de produits « made in USA », notamment des voitures électriques. Le programme démocrate se fixe d’ailleurs comme objectif la création d’un million d’emplois supplémentaires dans une industrie automobile qui s’éloignerait de l’utilisation des énergies fossiles pour s’inscrire dans la perspective d’une économie américaine à zéro émissions nettes à l’horizon 2050.
Pour soutenir ses réformes en faveur de l’environnement, Joe Biden a d’ores et déjà annoncé sa volonté de réintégrer les États-Unis dans le cadre des Accords de Paris. Soucieux d’éviter un choc trop important sur l’activité économique de certains États particulièrement concernés par l’industrie pétro-gazière, il ne compte cependant pas interdire dans l’immédiat la fracturation hydraulique. Mais le renforcement envisagé de la réglementation visant à limiter les rejets de méthane et d’autres polluants engendrés par cette méthode d’extraction réduira forcément la rentabilité d’une industrie déjà mise à mal par la baisse du prix du pétrole due à la crise sanitaire.
Joe Biden ne semble pas prêt à abandonner la bataille économique et commerciale engagée par Donald Trump contre la Chine. Les hausses des droits de douane mises en place par son prédécesseur ne seront donc pas annulées dans l’immédiat. Cette bataille devrait cependant se déplacer, tant sur la forme que sur le fond. Au lieu de prendre des mesures unilatérales qui seraient immédiatement suivies de rétorsions coûteuses, le président compte se réengager dans l’Organisation mondiale du commerce et se servir de ce levier international pour faire pression sur la Chine afin qu’elle respecte les normes internationales. C’est justement en négociant pour obtenir des normes internationales plus strictes en matière de droit du travail et d’environnement que Joe Biden affiche la volonté de protéger l’emploi des Américains face aux importations en provenance des pays à bas coût.
Sur le plan intérieur, toujours dans l’optique de relancer la production manufacturière américaine, le programme de Joe Biden prévoit pour les entreprises un système de taxe à la délocalisation et de subvention à la relocalisation sous forme de crédit d’impôt. Cependant, une telle évolution de la fiscalité, tout comme la réalisation du plan de relance de l’industrie, implique l’accord du Congrès.
Rénover les infrastructures
Le programme démocrate intègre un vaste plan de rénovation des infrastructures, prévu pour s’étaler sur une décennie. Il concerne de très nombreux domaines, dont le réseau routier, les transports ferroviaires, les réseaux d’assainissement, le réseau Internet ou encore la distribution énergétique, incluant notamment l’installation de 500 000 bornes de recharge pour les véhicules électriques.
Toutes ces rénovations seraient l’occasion d’orienter l’économie américaine dans le sens du développement des nouvelles technologies et des énergies propres. Rien qu’en ce qui concerne les routes et les ponts, ce sont 50 milliards de dollars de dépenses qui sont envisagés pour la seule première année du mandat de Joe Biden.
Protéger les familles et les travailleurs
Le programme économique de Joe Biden comporte un grand nombre de mesures en faveur des plus modestes jusqu’aux classes moyennes. Il s’agit tout d’abord d’élargir le champ d’application de l’assurance santé pour tous. Alors que près de 10 % des Américains ne bénéficient d’aucune couverture en 2019, un chiffre en augmentation par rapport à 2018, le nouveau président voudrait atteindre un taux de couverture de 97 %. Sans en préciser encore les modalités, il entend s’attaquer aussi au prix des médicaments, jugé trop élevé du fait de la faible concurrence qui existe dans le secteur de l’industrie pharmaceutique.
Pour protéger les travailleurs les plus précaires, Joe Biden envisage d’augmenter le salaire minimum fédéral à 15 dollars l’heure à l’horizon 2025. Il veut aussi lutter contre tout ce qui limite le droit des travailleurs à se syndiquer en soutenant une loi qui protège les syndiqués contre les licenciements abusifs et en mettant en place des sanctions contre les entreprises qui classeraient sous le statut d’auto-entrepreneur ceux qui sont, de fait, leurs salariés. Il défend en effet le principe des négociations collectives pour permettre aux travailleurs d’obtenir de meilleures conditions de rémunération et d’emploi.
Le président élu souhaite également lutter contre les inégalités dont pâtissent les femmes et les minorités raciales sur le marché du travail. Son plan suppose notamment un soutien spécifique aux petites entreprises dirigées par des femmes et/ou par des personnes issues des minorités, qui pourraient bénéficier en priorité des 400 milliards de dollars d’achats publics de produits « made in USA » prévus dans le plan de relance de la production manufacturière ; la promotion des femmes et des personnes issues des minorités lors des recrutements sur les postes clés des agences fédérales ; et la revalorisation des salaires dans les secteurs, particulièrement féminisés, de l’éducation et de la petite enfance.
Augmenter les impôts pour financer les réformes
Un plan de relance aussi ambitieux nécessite évidemment de dégager des capacités de financement considérables et, donc, d’augmenter la fiscalité. Joe Biden souhaite d’ailleurs revenir sur une grande partie des baisses d’impôts accordées par Donald Trump, des baisses qui ont avant tout bénéficié aux plus riches.
Son programme prévoit notamment de relever de 21 % à 28 % le taux d’imposition sur les sociétés et de taxer à hauteur de 21 % les bénéfices faits par les entreprises américaines dans leurs filiales à l’étranger. Concernant les ménages, il projette de relever le taux d’imposition le plus élevé de 37 % à 39,6 % et, pour les revenus supérieurs à 1 million de dollars, d’imposer les plus-values et les dividendes au même taux que les autres revenus. Une taxe prélevée sur les salaires annuels supérieurs à 400 000 dollars par an contribuerait au financement de l’assurance maladie. Dans ces conditions, le Tax Policy Center estime que 93 % de la charge fiscale supplémentaire reposerait sur les 20 % des ménages les plus aisés et 75 % sur les 1 % les plus riches.
Cependant, en l’absence de majorité démocrate au Sénat, Joe Biden risque de se heurter à un refus des Républicains concernant ces hausses d’impôts ou une hausse supplémentaire de la dette que la crise sanitaire a déjà fortement accrue. Faute des financements nécessaires, une grande partie des réformes économiques et sociales de son programme resterait lettre morte…
Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen Normandie et Thérèse Rebière, Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.