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L’égalité femmes/hommes mise à mal par la pandémie de Covid 19
Frédérique Pigeyre, Professeure en sciences de gestion et titulaire de la Chaire « Genre, mixité, égalité femmes/hommes de l'école à l'entreprise » au Cnam
Comment oser parler d’égalité femmes/hommes dans un moment aussi particulier, en pleine période de pandémie qui provoque une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent ?! On entend déjà des voix s’élever contre de telles préoccupations jugées inadaptées voire indécentes… Pourtant la question de l’égalité femmes/hommes en ces temps si particuliers justement n’est pas une question subsidiaire : elle devrait même traverser toutes les réflexions, tant les enjeux qu’elle recouvre sont essentiels pour l’avenir.
@pxfuel
Les femmes sont sur tous les fronts, surtout ceux que l’on voit le moins….
« Nous sommes en guerre » a déclaré le Président de la République le 16 mars dernier pour justifier le confinement de la population. Les changements qu’il induit dans les habitudes de travail, autant pour les organisations que pour les individus, ont des répercussions majeures dans la société, elles-mêmes révélatrices des inégalités de genre qui y persistent.
Ainsi, les femmes sont sur tous les fronts. A l’hôpital d’abord, les infirmiers sont à plus de 87% des infirmières et 62% des praticiens hospitaliers sont des femmes. A l’hôpital encore ainsi que dans les EHPAD, les aides -soignants sont à 90% des aides-soignantes. Dans les activités jugées « essentielles à la Nation », par exemple celles assurées par les caissiers et les vendeurs dans les grandes surfaces, les femmes comptent pour près des 3/4. Les aides à domicile qui continuent à aider les personnes isolées, âgées, malades ou handicapées, sont encore des femmes à plus de 97%. Enfin, à la maison, déjà avant le confinement, les femmes en couple avec enfants assuraient plus des 2/3 des tâches ménagères et domestiques, dont les soins aux enfants. Toutes ces activités se sont démultipliées avec le confinement, et au surcroît de tâches ménagères (plus de repas à préparer pour un plus grand nombre de personnes, par exemple, et donc davantage de courses à faire en amont, etc.) s’ajoute encore une activité nouvelle, largement prise en charge par les femmes : l’école à la maison. Tout cela ne fait qu’alourdir la fameuse « charge mentale », reconnue comme étant l’apanage des femmes[1]. Si de nombreux discours soulignent l’importance de ces activités liées aux soins dispensés aux autres, de façon très large, le chemin pour leur reconnaissance réelle est encore long et pavé d’embûches.
Les femmes sont aussi des victimes co-latérales de la pandémie
Apparemment minoritaires parmi les malades et les personnes hospitalisées, les femmes souffrent cependant de situations défavorables qui empirent avec le confinement lié au Covid19[2]. On sait par exemple que les appels aux numéros spécialisés dans l’écoute et l’orientation des personnes victimes de violences ont considérablement augmenté depuis le 17 mars, sachant que le confinement ne fait qu’exacerber les tensions au sein des couples ou des familles concernées.
La fermeture des crèches et des écoles a contribué à rétrograder dans la sphère familiale, et massivement aux femmes, le travail rémunéré d’une grande majorité d’autres femmes qui exercent habituellement dans ces structures (puéricultrices et auxilières de puéricultrice, enseignantes), et qui se trouvent à leur tour confrontées au même phénomène. Ces transformations radicales perturbent les équilibres établis au sein des couples dans lesquels les deux membres travaillent, renvoyant aux femmes la plus grande partie de ce surcroît de travail domestique, malgré le télétravail qu’elles sont également souvent susceptibles d’assurer. On voit ainsi apparaître des situations autant inédites qu’ubuesques, comme celles de femmes professeures en charge de plusieurs classes en collège ou lycée, qui sont supposées les alimenter en travail régulier et les suivre au jour le jour, tout en supervisant le travail à la maison de leurs propres enfants, sans oublier d’assurer les courses, les repas, et l’ensemble des tâches ménagères. Le burn-out n’est sans doute pas loin, mais il restera caché….
Pourtant les femmes sont encore insuffisamment reconnues et peu visibles
Si les femmes sont partout en première ligne là où les besoins sont flagrants, elles restent pourtant largement des travailleuses de l’ombre, tant dans les organisations de travail que dans la société en général.
Depuis longtemps, les métiers « du care » largement féminisés sont sous-payés. Comme l’ont récemment rappelé deux économistes, en plus d’applaudir ces femmes chaque soir à 20 heures, il serait temps de reconnaître leurs compétences[3]. On découvre en « temps de guerre » combien elles sont indispensables pour faire tenir la société, alors que depuis des décennies de paix on mobilise des arguments qui justifient l’infériorité dans laquelle on les enferme : les femmes seraient dotées de façon innée, parce que femmes, des qualités nécessaires aux soins des autres et il n’y aurait donc aucune nécessité de bien les payer pour ce travail. Le cynisme est poussé à l’excès quand on sait qu’en France, la rémunération annuelle du personnel infirmier en hôpital par exemple, est de 6% inférieure au salaire moyen du pays[4] : non seulement on ne les paye pas bien, mais on les paye moins !
On peut également s’interroger sur la quasi absence des femmes dans l’espace public en cette période de pandémie et de confinement. Certes, là encore, la situation n’est pas nouvelle : les femmes sont toujours minoritaires parmi les décideurs, dans les entreprises, les partis politiques et même les organisations syndicales et nettement moins visibles dans les médias que les hommes. Là aussi, les inégalités sont exacerbées. Combien de femmes appartiennent aujourd’hui aux équipes qui conseillent les décideurs politiques ? Combien de femmes s’expriment comme expertes sur les plateaux TV et dans les médias? Peut-être sont-elles sollicitées …mais elles disposent sans doute de moins de temps pour y répondre, car ce n’est plus une « double journée » qui les assaille aujourd’hui mais une triple voire quadruple journée si un tel décompte a encore un sens.
La place des femmes dans le « monde d’après »
De plus en plus de voix s’élèvent désormais pour proposer leur vision d’un « monde d’après » qui se voudrait plus écologique, plus respectueux de l’environnement, plus soucieux du bien public pour certains. Pour d’autres au contraire, le monde d’après devra attendre pour se réformer, l’urgence étant de repartir très vite comme avant. Dans les deux cas, la place des femmes n’y est pas pensée : on n’imagine tout simplement pas qu’elles puissent y jouer un rôle à égalité avec les hommes, comme si l’égalité était « déjà là », comme dans le monde d’avant. Tout au plus relaye-t-on certains discours faisant valoir que les pays qui gèrent au mieux la crise sanitaire actuelle sont dirigés par des femmes, comme l’Allemagne, l’Islande,Taïwan, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, la Norvège ou encore le Danemark. Et d’en conclure que les femmes seraient de bien meilleurs leaders que les hommes. Mais de tels propos sont pour le moins contestables : le leadership n’est ni féminin ni masculin et si ces femmes réussissent aux postes qu’elles occupent, c’est qu’elles maîtrisent les compétences nécessaires, acquises au prix d’un important travail.
Il est grand temps de prendre conscience de notre retard sur la question et de ne pas céder à la procrastination. Les ambitions du « monde d’avant », voire les combats pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes, doivent se situer au coeur du débat pour organiser le « monde d’après ». Ne prenons pas prétexte de la période exceptionnelle que nous vivons pour faire passer au second plan les enjeux de l’égalité. De même que l’on redécouvre dans la douleur combien le rôle de l’Etat est essentiel, sachons reconnaître également le rôle essentiel des femmes dans toute société et leur accorder, enfin, les mêmes droits et opportunités d’action qu’aux hommes.
[1] Voir par exemple A. Pailhé et A. Solaz (dir) (2009), Entre famille et travail – Des arrangements de couples aux pratiques des employeurs, La Découverte
[2] World Bank Group, « Gender dimensions of the COVID19 pandemic », Policy Note, 16 avril 2020
[3] Rachel Silvera et Séverine Lemière, Coronavirus : Il faut « revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine », Le Monde, 18 avril 2020
[4] Source : OCDE-Drees (2015), cité dans Le Monde du 17 avril 2020
Vous former aux politiques d'égalité professionnelle au Cnam
L'auteure
Professeure du Cnam, chaire Genre, mixité, égalité femmes-hommes de l’école à l’entreprise
Frédérique Pigeyre a rejoint le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise) en septembre 2018. Elle a été professeure des universités en sciences de gestion à l’Université de Versailles St Quentin puis à Paris-Est Créteil où elle assuré la co-direction pendant 10 ans d’un master de GRH internationale en apprentissage. Elle a également dirigé le département des études doctorales (6 écoles doctorales thématiques) de la Comue Université Paris-Est.
Ses travaux portent sur la gestion des carrières des femmes, l’accès des femmes aux positions de pouvoir dans les organisations privées (entreprises) et publiques (universités), le management au féminin et sur la mise en œuvre de l’égalité professionnelle dans les entreprises.