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Prospective : la Covid-19 n’a pas entamé la crédibilité des praticiens

Régine Monti Tessier Professeur associé Chaire de prospective et développement Durable Equipe Innovation, chercheur au LIRSA

Publié le 11 septembre 2020 Mis à jour le 25 mars 2022

Au début de la crise sanitaire de la Covid-19, les responsables de la prospective dans les différentes organisations ont craint que leurs activités soient dénigrées. Les praticiens de l’anticipation s’attendaient à entendre : «est-ce que vous l’avez vu arriver cette crise? Avez-vous prévu ses effets?», etc.

Les entreprises peuvent s’appuyer sur l’expertise des commissaires aux comptes pour surmonter les difficultés engendrées par la crise. Pxhere, CC BY-SA

Les entreprises peuvent s’appuyer sur l’expertise des commissaires aux comptes pour surmonter les difficultés engendrées par la crise. Pxhere, CC BY-SA

Or, ce ne fut pas le cas. C’est ce qu’il ressort de notre recherche conduite au sein du laboratoire LIRSA du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) en collaboration avec l’ANVIE (Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises) auprès de responsables de prospective d’une trentaine de grandes organisations privées et publiques au début du mois de juillet 2020 (étude en cours de publication).

Les résultats de l’enquête indiquent d’abord que la prospective n’a pas été particulièrement critiquée durant cette période. Pour les organisations qui ont des pratiques de prospective régulières – 60 % de notre échantillon – le constat est partagé. Comme le résume un répondant :

« La crise de la Covid-19 a renforcé l’intérêt de réfléchir large sur les conséquences » et « traverser une crise de cette ampleur remet la prospective et le besoin d’intégrer l’incertain à l’honneur ».

Pour les organisations qui ont des pratiques de prospective plutôt épisodiques – autour de 40 % de notre échantillon – c’est l’indifférence qui a prévalu, sans critique particulière.

Belle résistance

Pour deux tiers des répondants, de nouveaux travaux de prospective ont même été lancés durant cette période de mars 2020 à juillet 2020. Ces nouvelles études ont été commanditées dans la majorité des cas par les dirigeants. Ceux-ci se sont tournés vers les services de prospective le plus souvent « moins pour gérer l’urgence de cette crise que pour procéder aux pivotements stratégiques imposés », comme en témoigne un praticien interrogé dans l’étude.

En parallèle de ces nouveaux travaux, les trois quarts des organisations interrogées ont poursuivi les réflexions de prospective programmées avant la crise, voire les ont accélérées selon nos répondants. Quelle belle preuve de la résistance de la prospective en temps de crise !

Ces entreprises privées et ces institutions publiques pratiquant de longue date les exercices de prospective ont ainsi veillé à maintenir dans la plupart des cas les budgets et les équipes, qui ont d’ailleurs été très rarement en chômage partiel, montrant en cela la priorité accordée à ces activités d’anticipation.

Dans les mois qui viennent, 7 organisations interrogées sur 10 ont prévu de préserver leurs moyens au service du temps long et de l’action. Côté méthodes, ces départements et services de prospective ont réussi à maintenir la part prépondérante des approches participatives malgré les circonstances qui ont imposé de conduire les réflexions à distance.

Esquisser le « monde d’après »

Nous avons en outre demandé aux personnes interrogées dans le cadre de cette enquête quels sujets d’exploration des avenirs possibles les occuperont dans les prochains mois… C’est « le monde d’après » qui occupe la première place. En effet, comme le souligne un répondant :

« La crise renforce le besoin d’anticipation et de scénarisation des mondes d’après, et la nécessité de promouvoir le dialogue avec la « société » autour de ces sujets »

Deuxième thème de travail prioritaire dans les mois à venir pour plus de trois quarts des personnes interrogées en charge des réflexions sur le futur : le développement durable et l’environnement.

Extrait des réponses du questionnaire « La prospective au temps du Covid-19 », juillet 2020

Les plans de relance annoncés à l’échelle nationale et européenne et leurs colorations vertes n’y sont pas pour rien ! Mais au-delà de ces effets des politiques mises en place pour tenter de résister à la crise de la Covid-19, la chute d’activité sans précédent de secteurs comme ceux de la mobilité, du tourisme, de l’aéronautique, etc. – réputés sans risque et à croissance quasi assurée – ont accéléré et intensifié de façon très nette la prise en compte des enjeux de développement durable dans les projets de relance et de développements futurs.

Le propre de cette crise systémique unique est d’avoir été à la fois un « un accélérateur des mutations en cours celles relatives à la mobilité, au travail, à l’usage du digital » (extrait de réponse) et d’avoir projeté sur le devant de la scène des sujets quasi absents des radars d’observation de l’avenir : les pandémies bien sûr, mais aussi la frugalité, l’immobilité, la surconsommation touristique, etc.

En troisième position thématique pour 60 % des répondants : la gestion de crise et la résilience. Au même niveau de préoccupation, dans une perspective plus interne aux organisations, les sujets de prospective des ressources humaines avec les évolutions fortes du travail, des compétences, de l’emploi induits par la crise sont aussi dans le peloton des sujets de prospective à venir pour les répondants.

Donner un cap

Au-delà de ces thématiques de travail, c’est la contribution de la prospective à la gestion des risques qui sera dans les mois à venir le principal terreau des travaux sur le futur, comme nous l’indique un responsable interrogé :

« La crise a montré l’intérêt de réfléchir large sur des conséquences que nous n’aurions pas cru possibles sauf dans des scénarios fictifs… cela renforce la probabilité de survenance de ces scénarios et l’intérêt de mesurer les impacts de ces scénarios ».

Pour 57 % des personnes interrogées, il s’agira demain de trouver un équilibre entre travaux de court terme et de moyen terme. Préserver la réflexion à long terme sera un défi dans cette crise qui dure, et d’ailleurs, 39 % de responsables pensent que c’est la prospective à bout portant qui dominera dans les mois qui viennent.

Extrait des réponses du questionnaire « La prospective au temps du Covid-19 », juillet 2020

C’est aussi à notre avis le principal défi auquel devront faire face les praticiens de la prospective, convaincre les décideurs de la nécessité de voir loin à long terme pour se donner un cap dans et au-delà des turbulences.

Nous laisserons le mot de la fin sur la place de la prospective en temps de Covid-19 en citant une des personnes interrogées :

« les Madames Irma ont fait florès en mode flash solitaire et médiatique, là où la prospective conduit des réflexions documentées, collaboratives et rigoureuses, indispensables pour les modes d’action innovants ».


L’enquête dont les résultats sont présentés dans cet article a été réalisée avec le soutien de Noémie Wiroth, auditrice du master 2 Prospective, innovation et transformation du Cnam.The Conversation

Régine Monti Tessier, Professeur associé Chaire de prospective et développement Durable Equipe Innovation, chercheur au LIRSA (EA 4603), Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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