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Qui s'intéresse à la santé des chômeurs?

Dominique Lhuilier, Professeure émérite en psychologie du travail

Publié le 16 mai 2024 Mis à jour le 25 juin 2024

A la fin de cette semaine, le gouvernement devrait annoncer les nouvelles règles d'indemnisation des chômeurs et promet un durcissement. Ce sera la troisième réforme de l’assurance-chômage en six ans, après deux réformes contestées en 2019 et 2023. Ces dernières ont globalement augmenté la durée de cotisation pour prétendre à des indemnités dont le montant est réduit. On retrouve là les instruments d’une injonction récurrente au « Je traverse la rue et je vous en trouve (sous-entendu du travail) » selon la formule du président de la République Emmanuel Macron. La pression exercée s’accroît de plus en plus…

©pixabay

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Le soupçon qui vise les chômeurs a la vie dure

Le stéréotype chronique qui vise les chômeurs alimente le soupçon : ceux qui tardent à retrouver un emploi pourraient bien être des paresseux, des profiteurs. Gabriel Attal le laisse entendre : « Il faut aussi écouter une majorité silencieuse, ce sont ces Français qui bossent et qui ont l’impression que tous les efforts leur sont demandés ».

En toile de fond, se joue la question de la responsabilité citoyenne. Le chômeur ne peut s’affranchir de ses devoirs en ces temps de « réarmement civique » voulu par le président de la République. Dans cette lecture, si le chômeur a perdu son emploi, c’est qu’il s’est dérobé à ses engagements, qu’il manque de courage, ou qu’il a démissionné pour prendre du bon temps et profiter de ses allocations, si on se réfère à la manière dont semblent perçues les personnes au chômage au sein de la société française.

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Une stigmatisation qui rassure ceux qui sont dans l’emploi

Penser le chômeur artisan de son exclusion est fort utile : cela permet d’éloigner le spectre du chômage pour soi. Alors, ceux qui ont (pour le moment…) un emploi, peuvent se rassurer. La stigmatisation des chômeurs apaise donc l’angoisse des actifs en emploi.

D’autant qu’aujourd’hui toute difficulté au travail est régulièrement interprétée en termes d’insuffisance personnelle. Cette interprétation présente l’avantage de construire une frontière entre les inclus et les exclus, entre les « productifs performants » et les « improductifs ». Différentialisme et discrimination vont bien souvent de pair.

L’accent mis sur les traits personnels, qualifiants ou disqualifiants, justifie les destins heureux ou malheureux. Et ce psychologisme explique les ruptures d’emploi par des mises en cause personnelles. Pourtant, les personnes privées d’emploi ne se « vautrent » pas dans le chômage. Et si, au lieu de définir le chômeur par ce qu’il ne fait pas ou n’est pas, on privilégiait une investigation de ce qu’il fait et est ?

Quand la recherche va à la rencontre des chômeurs

Une récente recherche-action d’ampleur réalisée récemment peut contribuer à éclairer la question. La recherche-action poursuit un double objectif de changement dans le système social et de production de connaissances sur celui-ci.

Les connaissances sont indissociables des conditions de leur émergence : elles se construisent dans l’action et avec les acteurs sociaux. Ceux-ci ne sont pas considérés comme de simples objets d’investigation mais des sujets engagés dans une relation de coopération avec les chercheurs.

Publiée sous le titre « Santé et travail, paroles de chômeurs », cette recherche-action permet d’aller au-delà des chiffres du chômage régulièrement commentés, et objet de nombreuses controverses.

Cette recherche qualitative explore les trajectoires de vie au travail et au chômage, en appui sur une centaine d’entretiens individuels approfondis semi-structurés et d’une vingtaine entretiens collectifs. Ces entretiens ont été réalisés au sein d’agences de Pôle emploi, d’une mission locale, d’un Cap emploi, de l’association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) et d’un Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD).

Femmes ou hommes, urbains ou ruraux, de toutes catégories socioprofessionnelles

À la rencontre de chômeuses et de chômeurs, on réalise vite que le chômeur n’existe pas : ce sont des hommes, des femmes, d’âges contrastés, de toutes catégories socioprofessionnelles, vivant en zones urbaines ou rurales, ayant des expériences du travail et du chômage très différentes.

Il n’y a pas une seule expérience du chômage, et il faut revenir au travail, à ce qui a été perdu, pour comprendre à la fois les significations de cette perte et les processus qui ont conduit à cette bascule hors de l’emploi. Comme il faut tenir compte des ressources ou contraintes de leurs situations respectives qui leur permettent de penser les voies de sortie du chômage.

Le chômage n’est pas un état qui définirait une population mais une transition, un temps plus ou moins long, plus ou moins fréquent dans une histoire de vie. Et les chômeurs ne se définissent pas par des traits singuliers.

Une santé altérée par les emplois précaires, les défauts d’insertion, etc.

Cependant, au-delà de cette grande diversité, on observe une dimension essentielle et trop souvent occultée par les pouvoirs publics et les institutions d’accompagnement vers l’emploi : la santé.

Ainsi, l’analyse comparée des différentes trajectoires révèle trois dominantes ou tendances de parcours. Certains se caractérisent par une santé sacrifiée en emploi. Ils persistent à se maintenir au travail malgré des signes infra-pathologiques, des douleurs, une souffrance psychique croissante ou une maladie déclarée (par exemple un cancer).

Cela amplifie les processus de dégradation de la santé, l’usure physique et psychique, jusqu’à l’accident de travail ou l’effondrement. Souvent, les personnes concernées ne veulent pas prendre le risque de perdre leur emploi ou alors elles souhaitent prévenir le stigmate qui pèse dans le monde du travail sur ceux qui ont une santé fragilisée.

D’autres sont marqués par une santé altérée sur fond d’emplois précaires récurrents, et enfin une troisième catégorie de personnes font état d’un défaut d’insertion sociale et professionnelle chronique sur fond de santé dégradée.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) soulignait déjà en 2017 que plus d’un quart des inscriptions au Pôle emploi font suite à un licenciement pour inaptitude médicale. Autrement dit, la relation chômage/santé peut prendre aussi sa source en amont dans l’activité de travail, cause d’une dégradation de la santé qui s’importe en situation de chômage voire la provoque.

Une dégradation, notamment sur le plan psychique

Ces parcours se prolongent au chômage par une dégradation accrue de la santé notamment psychique, même si un temps, elle peut être restaurée grâce à la mise à distance des épreuves du travail. Au chômage s’efface tout à la fois la structuration spatiale (espace public – celui du travail/espace privé) et temporelle de nos vies.

Le temps de travail assure une fonction essentielle de structuration du temps quotidien et contribue à la construction de l’avenir. Lorsqu’il est absent, la dynamique fait défaut : le présent devient encombré de préoccupations multiples alors que les perspectives se brouillent. Chômer est aussi une situation d’activité empêchée. Et l’empêchement de l’activité altère à la fois l’image de soi et la santé.

Sans travail, au sens d’activité, le sujet ne peut se prouver à lui-même et aux autres qu’il peut. Sans mise à l’épreuve du réel, avec ce qu’il contient de limitations mais aussi de possibles, le chômeur risque une dégradation de l’estime de soi, voire un sentiment d’impuissance renforcée par la durée du chômage et les impasses rencontrées lors de la recherche d’emploi. Alors, l’inactivité forcée peut trouver une « issue » dans des décompensations psychosomatiques.

Enfin, l’empêchement de l’activité est fondamentalement privation du pouvoir de l’action. Car travailler, ce n’est pas seulement s’acquitter des tâches attribuées. C’est aussi être en mesure de marquer de son empreinte son environnement, la relation aux autres et le cours des choses. Aussi, la souffrance qui résulte de la privation de travail contribue encore à la diminution de la puissance d’agir.

Il est temps de tirer la sonnette d’alarme

La dégradation de la santé des personnes au chômage est bien un problème de santé publique. Un rapport de 2016 du Conseil économique social et environnemental (CESE) soulignait que « 10 à 14 000 décès par an lui sont imputables du fait de l’augmentation de certaines pathologies, maladie cardio-vasculaire, cancer… (Enquête SUIVIMAX, Inserm 2015) ».

Le CESE conclut sur le fait que « le chômage est un « facteur de risque » qui doit être appréhendé comme tel : organisation d’un suivi sanitaire et psychologique précoce ; accompagnement renforcé en termes d’accueil par Pôle emploi et d’insertion sociale et professionnelle ».

Par rapport aux actifs occupés, les chômeurs présentent au même âge, de moins bons indicateurs en termes de santé perçue, de morbidité, d’accès aux soins, de vieillissement ou de mortalité. Et dans la durée, le bien-être psychologique diminue au chômage tandis qu’augmentent les troubles de l’humeur ou de l’anxiété.

La recherche que nous avons réalisée entend bien poser cette question centrale : faut-il prioriser le contrôle des chômeurs ou prévenir les processus qui mènent les travailleurs au chômage et qui font qu’ils ne peuvent plus envisager de revenir dans des emplois dans lesquels ils ne tiendront pas ?The Conversation

Dominique Lhuilier, Professeure émérite en psychologie du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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