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"L'art, c'est de la survie" Renaud Barret, réalisateur du film Système K

Interview de Marie-Line Therre, Directrice du Musée des arts d’Afrique et d’Asie à Vichy

Publié le 22 janvier 2020 Mis à jour le 24 mars 2022

En cette année de l'Afrique, le septième art déroule un zoom avant sur l'art de rue congolais avec Système K, un film documentaire de Renaud Barret consacré aux performeurs de rue de Kinshasa, en salles depuis le mercredi 15 janvier. Né par et contre la misère, cet art de résistance qui mêle le rire aux larmes et le naïf au sulfureux a fait son entrée réussie aussi bien dans le monde de l'art que dans le cadre d'expositions à succès depuis "Beauté Congo" à la fondation Cartier en 2015. Dernière en date, l'exposition "Congo Paintings" a rassemblé l'an dernier les plus grands noms des arts de la capitale congolaise au Musée des arts d’Afrique et d’Asie à Vichy. Sa directrice, Marie-Line Therre, revient pour nous sur les spécificités de cet art et la recette de son succès fulgurant...

Moke Fils, Atelier Moke 2015. Collection Philippe Pellering

Moke Fils, Atelier Moke 2015. Collection Philippe Pellering

Quelles sont les spécificités de l’art congolais ?

A part l’Académie des Beaux-Arts et quelques lieux structurés, la capitale congolaise compte peu de lieux d’exposition. C’est donc véritablement un art de la rue, en plein bouillonnement, qui s’expose directement sur les façades des ateliers ou des maisons. L’art contemporain congolais, c’est donc aussi des performances de rue, comme Michel Ekeba qui se déguise en astronaute pour dénoncer le pillage des matières premières, sans oublier les sapeurs[1]. C’est aussi un patrimoine musical, à l’instar du collectif Kokoko !, qui collecte dans la rue des rebus d’objets pour les assembler en instruments.

Shula Tôt ou tard le monde changera 2014 collection Philippe Pellering

Par opposition à l’art contemporain français, réputé élitiste, l’art congolais est-il intrinsèquement démocratique ?

Interrogé sur la peinture de rue à Kinshasa, Chéri Samba, l’artiste le plus connu de notre exposition, affirme qu’il s’agit d’une peinture « faite par le peuple, pour le peuple, et qui parle du peuple. » On voit effectivement des pratiques artistiques exposées au milieu de la population, dans le quotidien des gens, qui peuvent être directement interpellées par l’art, qui y réagissent et se montrent bienveillants à son égard.

De par ces spécificités, l’art congolais est-il avant tout politique ?

La vie est très difficile à Kinshasa : c’est une mégalopole de 13 millions d’habitants qui souffre d’un manque d’infrastructures, de la pauvreté, du manque d’eau potable, de la guerre… Il ne manque pas de thèmes contre lesquels s’insurger, et Renaud Barret, qui a réalisé le film Système K, sur les performeurs de rue de la capitale congolaise, d’affirmer qu’à Kinshasa, « l’art, c’est de la survie. » Au niveau des sujets en eux-mêmes, nous sommes face à une grande diversité : certains sont effectivement directement politiques tandis que d’autres restent ancrés dans le quotidien, dans les kinoiseries[2], d’autres abordent le monde intérieur de l’artiste…

Amani BODO, le bal des bonimenteurs 2017. Collection Philippe Pellering

De par son implantation dans le quotidien de la population, les thèmes qu’il aborde et son fort impact visuel, l’art congolais est-il un media ?

Oui tout à fait. C’est vraiment un art à message, c’est un art ancré dans le quotidien, qui a des choses à dire sur la réalité, sur ce que vivent les populations. Les plus anciens peintres de rue viennent de l’affiche publicitaire, les jeunes peuvent venir de la BD, d’où les inscriptions que l’on trouve très souvent en bas des tableaux. Du point de vue plastique, on a donc des lignes très claires qui rendent le message accessible et qui racontent le pire avec toujours une pointe d’humour, de second degré. Il y a toujours cette idée qu’il ne faut pas céder au désespoir.

Comment expliquez-vous l’engouement du monde de l’art européen et de ses publics pour l’art congolais ?

Sans doute parce qu’il répond à des préoccupations universelles : il parle de politique, d’écologie… C’est un art accessible, qui raconte des histoires, qui est profondément humain, peut-être plus que certaines installations d’art contemporain occidental. C’est un art assez touchant, qui a des inspirations très variées, aussi bien issues du folklore traditionnel que de codes culturels universels, tels que la main d’Adam dans la chapelle Sixtine par Michel-Ange ou bien Le Jardin des délices de Jérôme Bosch. En somme, un art universel avec des spécificités congolaises.

Pierre Pambu Bodo, Montagne de délices 2001 collection Bernard Sexe

Propos recueillis par Laetitia Casas

Journaliste à la direction de la communication

[1] de SAPE, Société des Ambianceurs et des Personnalités Elégantes.

[2] Comportement, mentalité reprenant les valeurs et antivaleurs propres aux habitants de Kinshasa.


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