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L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable
Frédérique Pigeyre Chaire Genre mixité égalité femmes/hommes, de l’école à l’entreprise
C’est le thème choisi cette année par l’ONU pour la journée internationale pour les droits des femmes du 8 mars : «L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable ».
©pixabay
Ce choix de l’ONU établit ainsi un lien entre deux des défis majeurs auxquels sont confrontées nos sociétés : d’une part le dérèglement climatique et ses conséquences et d’autre part, l’égalité entre les femmes et les hommes.
Différentes approches pourraient nourrir la réflexion que suggère la proximité de ces deux défis.
Je voudrais aborder ici la question de la place des femmes dans les sciences : rappeler les mécanismes qui contribuent à les rendre invisibles pour montrer l’urgence à agir pour faire progresser l’égalité entre femmes et hommes dans ce domaine.
On entend souvent dire qu’il n’y a pas beaucoup de grandes figures de femmes scientifiques et qu’à part Marie Curie, on a du mal à citer d’autres noms de femmes. La plupart des grandes découvertes et avancées scientifiques sont attribuées à des hommes.
C’est le cas par exemple de l’un des textes fondateurs de la théorie du chaos, popularisé par l’image de l’effet papillon[1] publié en 1963, attribué au seul Edward Lorenz. Mais sait-on que ce texte a pu voir le jour grâce aux calculs réalisés, à la main à cette époque, par Ellen Fetter ?
Un autre exemple concerne la découverte des pulsars radio attribuée à Antony Hewish, colauréat avec Martin Ryle du Prix Nobel de physique en 1974. Mais qui sait que, sans l’intuition et la persévérance de l’astrophysicienne Jocelyn Bell, inscrite en thèse sous la direction d’Antony Hewish, cette découverte ne lui aurait probablement jamais été attribuée ? Car c’est bien Jocelyn Bell qui a mis en évidence le premier pulsar, et son nom figurait clairement en deuxième position parmi les cinq signatures de l’article de la revue Nature qui a révélé l’existence des pulsars en 1968.
De même, sans les calculatrices de la NASA, Katherine Johnson, Dorothy Vaughn et Mary Jackson, réhabilitées notamment dans le film de Theodore Melfi « Les figures de l’ombre » réalisé en 2016, il n’y aurait pas eu le programme Apollo dans les années 1960 qui a envoyé des hommes dans l’espace.
On pourrait multiplier les exemples.
Ainsi, malgré leur participation, voire leur découverte d’avancées scientifiques majeures, ces femmes ont été spoliées de leurs travaux par un mari chercheur ou un directeur de thèse, et in fine effacées des dictionnaires. C’est ce que l’historienne des sciences Margaret Rossiter[2] a nommé «l’effet Matilda». En observant que les femmes reçoivent moins souvent que les hommes la reconnaissance de leurs efforts et de leurs réussites, Margaret Rossiter exploite en miroir les travaux du sociologue Robert K. Merton sur les effets différenciés de la notoriété, inéquitablement répartie. R.K. Merton fait référence au verset de l’Evangile selon Saint Mathieu : “Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a.”
Voilà pourquoi la difficulté à nommer de grandes femmes scientifiques conduit à penser qu’elles n’existent pas alors qu’en vérité, on les a volontairement oubliées….
Les choses ont-elles beaucoup changé depuis le siècle dernier ? On pourrait le penser mais les progrès enregistrés restent encore fragiles et la parité reste bien lointaine…..
En France aujourd’hui, les femmes ne représentent que 28% des effectifs des formations d’ingénieurs. Dans l’enseignement supérieur, elles représentent 45% des MCF mais seulement 27% des professeurs d’université avec des disparités fortes par discipline (seulement 23% en math-info et en physique, et 19% en sciences de l’ingénieur). Dans les organismes de recherche, elles ne représentent que 22% des chercheurs en math-info et 25% en physique. Et elles occupent moins d’un tiers des postes de direction.
Par exemple au CNRS, la part des femmes recrutées en 2019 comme chargées de recherche (36,9%) est restée inférieure à leur proportion dans l’ensemble de la population de l’organisme (38%)[3]. La situation est plus favorable en matière de promotions : la part des femmes promues est au moins égale à celle des femmes promouvables. Mais cela ne concerne pas les ingénieures de recherche qui se heurtent toujours au même plafond de verre.
Si les femmes restent encore largement minoritaires dans les sciences, c’est pour de nombreuses raisons. L’éducation et la socialisation véhiculent toujours les mêmes préjugés, si bien que les jeunes filles manquent de modèles de réussite de femmes auxquelles elles pourraient s’identifier. Elles s’orientent moins volontiers dans des secteurs et des métiers qu’on leur a souvent présentés, et que l’on continue encore trop souvent à leur présenter comme n’étant pas faits pour elles.
Et il est vrai que les organisations de travail, quelles qu’elles soient, publiques ou privées, grandes ou petites, se montrent bien peu accueillantes pour ces femmes. A compétences égales, on embauchera plus souvent un homme. Pour une promotion, on regardera si une femme la mérite vraiment. Un congé de maternité ? C’est le signe évident d’un désengagement professionnel….
Voilà comment s’expriment des préjugés dépassés mais encore bien vivaces qui alimentent le sexisme ordinaire dans les équipes de travail, et cela, même dans le monde de la recherche.
Ce ne sont pas les femmes qui s’auto-censurent, comme on l’entend dire trop souvent. Ce sont les organisations de travail qui ne se posent pas la question de leur part de responsabilité dans cet état de faits. Les femmes subissent ce type de situation et ce n’est probablement pas en se contentant de les encourager verbalement que les choses changeront de façon significative.
Des mesures concrètes ambitieuses, et il faut bien le dire, contraignantes, existent pour accélérer les choses. Les politiques de quotas ont montré leur bien-fondé dans les grandes entreprises[4] : pourquoi ne pas imposer dans le secteur public ce que l’on impose au secteur privé ? Les établissements publics de l’enseignement supérieur et de la recherche sont désormais tous équipés de plans Egalité pour améliorer la situation des femmes. Des contraintes de genre et d’équilibre sont de plus en plus fréquentes dans les consortiums mis en place pour financer des programmes de recherche, notamment à l’international. Il est essentiel de poursuivre et même d’amplifier de tels efforts.
On peut comprendre qu’il soit difficile pour la plupart des hommes d’abandonner leurs privilèges, surtout en période de pénurie d’opportunités, notamment en termes de carrière, ce qui est le cas depuis plus de 15 ans maintenant en France dans l’enseignement supérieur et la recherche.
C’est pourtant là tout le défi à relever : l’égalité entre les femmes et les hommes ne peut pas se faire, ni sans les hommes, ni contre les hommes. Elle est la condition indispensable à l’avènement d’un monde meilleur, et plus durable.
[1] Effet selon lequel un battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait engendrer un ouragan au Texas.
[3] Source : rapport de situation comparée CNRS, édition 2019.
L'auteure
Professeure du Cnam, chaire Genre, mixité, égalité femmes-hommes de l’école à l’entreprise
Frédérique Pigeyre a rejoint le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise) en septembre 2018. Elle a été professeure des universités en sciences de gestion à l’Université de Versailles St Quentin puis à Paris-Est Créteil où elle assuré la co-direction pendant 10 ans d’un master de GRH internationale en apprentissage. Elle a également dirigé le département des études doctorales (6 écoles doctorales thématiques) de la Comue Université Paris-Est.
Ses travaux portent sur la gestion des carrières des femmes, l’accès des femmes aux positions de pouvoir dans les organisations privées (entreprises) et publiques (universités), le management au féminin et sur la mise en œuvre de l’égalité professionnelle dans les entreprises.