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Égalité femmes/hommes : l’engagement des hommes est une nécessité
Frédérique Pigeyre, Professeure Cnam, titulaire de la Chaire « Genre, mixité, égalité femmes/hommes de l'école à l'entreprise »
Il n’est pas de semaine, voire de jour, sans que l’actualité ne mette sur le devant de la scène un sujet relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes. Déclarée grande cause nationale du quinquennat par le Président de la République le 25 novembre 2017, cette question est devenue une préoccupation officielle.
égalité femmes hommes ©pixabay
A l’approche de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, il n’est pas inutile de s’interroger sur les effets des actions passées et de réfléchir à la manière dont cette même égalité peut enfin devenir réalité.
Car en effet, c’est plutôt le sentiment inverse qui domine aujourd’hui : la crise sanitaire et économique que nous vivons depuis un an déjà continue de provoquer des effets désastreux en aggravant les inégalités de genre. Les femmes sont les premières touchées par la dégradation de l’emploi et ont subi simultanément, du fait du confinement, une dégradation de leurs conditions de vie et de travail, voire une hausse des violences familiales. Tout se passe comme si l’enjeu de l’égalité était devenu secondaire devant l’urgence et l’ampleur de problèmes jugés plus graves.
Concernant les actions passées, elles portent sur une longue période de près d’un demi-siècle. Des lois se succèdent régulièrement pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sans pour autant que celle-ci soit effective. Et l’on peut donc se demander pourquoi avons-nous encore et toujours besoin de davantage de lois, de règles, de contraintes ou d’incitations de toutes sortes pour espérer parvenir à l’égalité réelle ?
Certes, il ne s’agit pas de nier les avancées et les progrès réalisés depuis les années 1970 en matière d’égalité des droits et des possibles entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Il s’agit plutôt de s’interroger sur la fragilité de ces progrès, si prompts à disparaître en cas de difficultés et sur les résistances qui demeurent toujours trop vives.
Si les inégalités, la domination masculine, le sexisme ne constituent en rien des fatalités, sans doute faut-il revenir sur les ressorts des actions passées pour en élargir le spectre et rencontrer davantage de succès. Le fait que toute mesure supplémentaire en faveur des femmes semble n’avoir désormais qu’un effet mineur invite à modifier le regard que l’on porte généralement sur les inégalités de genre.
En effet, si l’on espère saisir la complexité des situations d’inégalités, imbriquées dans des logiques de différente nature, on ne peut se contenter d’une vision unique. Un exemple issu de la manière dont on mesure les écarts entre les salaires des femmes et ceux des hommes pourra illustrer ce propos.
Dans ce domaine en effet, il est courant de mesurer les écarts en prenant comme référence les salaires des hommes. Cela conduit l’INSEE à écrire : « En 2017, les femmes salariées du secteur privé gagnent en moyenne 16,8 % de moins que les hommes en équivalent temps
plein »(1). La même réalité, en prenant comme référence les salaires des femmes, serait exprimée de la façon suivante : « les hommes salariés gagnent en moyenne 22,9% de plus que les femmes ». On peut sans doute comprendre le choix de la mesure qui tend à « minimiser » les écarts de salaires (on retiendra plus volontiers un écart de 16,8% que de 22,9%). Pourtant, prendre en compte l’autre manière, en référence aux hommes, même si elle semble plus iconoclaste, contribuerait certainement à renforcer la conviction que de tels écarts de salaires sont réellement inacceptables et permettrait sans doute de s’atteler plus sérieusement à leur réduction.
De la même façon, la manière habituelle de traiter plus largement la question des inégalités entre les femmes et les hommes peut bénéficier d’une approche différente. Rien n’interdit de raisonner autrement.
Ainsi, les femmes ne sont pas seulement les éternelles victimes d’un système de domination et n’attendent pas seulement des mesures de « rattrapage » pour atteindre les mêmes situations que les hommes. Il faut aussi prendre en compte les attitudes des hommes et examiner la manière dont ils participent activement, consciemment ou non, au maintien de ces inégalités et à ce système de domination. Depuis plus d’un demi-siècle maintenant, on a exploré la manière dont les femmes deviennent femmes à la faveur d’une socialisation genrée, mais on a beaucoup moins mis l’accent sur la manière dont les hommes aussi sont socialisés de façon genrée et ainsi éduqués à la virilité. De nombreux travaux de diverses disciplines des sciences humaines et sociales ont analysé les fondements de la construction de la virilité chez les garçons. Ils ont notamment mis en évidence que l’un des ressorts majeurs de la virilité repose sur une dévalorisation totale de tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à un univers « féminin », y compris les émotions et la sensibilité. Pourtant la plupart des actions concrètes menées en direction des femmes ne s’appuient guère sur ces travaux.
Il est temps que les hommes acceptent de prendre clairement et courageusement parti pour l’égalité. Car la plupart d’entre eux semblent convaincus, en leur for intérieur, que toutes les manifestations de sexisme, quelles qu’elles soient, sont désormais inappropriées. Une étude américaine conduite dans le milieu académique a montré en 2011 que 80% des hommes se sentent mal à l’aise lorsque d’autres hommes expriment des remarques sexistes à l’encontre des femmes ; mais ils n’osent rien dire, car ils pensent être les seuls à ressentir ce type de malaise (2). Si le courage devait être une valeur masculine, que les hommes en fassent donc preuve en osant faire taire ceux qui, parmi eux, perpétuent l’idéologie de l’infériorité des femmes et du féminin, à savoir le sexisme ! Qu’ils se penchent honnêtement et sincèrement sur leur responsabilité indirecte quand ils se taisent et laissent perdurer des actions de dénigrement des femmes qui peuvent même aller, trop souvent, jusqu’à la violence. « Qui ne dit mot consent » : l’adage populaire prend ici tout son sens.
Raisonner autrement suppose donc de se placer du côté des hommes pour les inciter à changer. Si des hommes commencent progressivement à remettre en cause des normes implicites de virilité qu’ils n’ont pas choisies et qui ne leur conviennent pas, peut-être ces normes pourront-elles progressivement évoluer. L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas un jeu à somme nulle : il ne s’agit pas de transformer les perdantes d’aujourd’hui en gagnantes de demain. Il s’agit d’œuvrer ensemble à la construction d’une société plus harmonieuse, plus équilibrée, et surtout plus respectueuse où chacune et chacun pourra librement choisir son destin sans aucune contrainte liée à son sexe.
Quelques mesures significatives de ce changement de regard ont commencé à émerger, comme par exemple l’allongement de la durée du congé de paternité à partir de juillet 2021. Mais elles restent encore timides, trop timides.
L’égalité entre les sexes a besoin d’être aussi revendiquée par les hommes qui n’ont pas à craindre pour leur virilité parce qu’ils vont s’occuper de leurs bébés, partager équitablement les tâches domestiques avec leur conjointe et même accepter que celle-ci passe plus de temps au travail et gagne plus d’argent qu’eux.
L’égalité entre les sexes ne pourra pas advenir sans l’engagement inconditionnel des hommes.
[1] Insee première, n° 1803, juin 2020.
[1] Berkowitz A.D. (2011), “How college men feel about being men and ‘doing right thing’ ”, in Laker J. and Davis T., Masculinities in Higher Education: Theoretical and Practical Implications, Routledge.
L'auteure
Professeure du Cnam, chaire Genre, mixité, égalité femmes-hommes de l’école à l’entreprise
Frédérique Pigeyre a rejoint le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise) en septembre 2018. Elle a été professeure des universités en sciences de gestion à l’Université de Versailles St Quentin puis à Paris-Est Créteil où elle assuré la co-direction pendant 10 ans d’un master de GRH internationale en apprentissage. Elle a également dirigé le département des études doctorales (6 écoles doctorales thématiques) de la Comue Université Paris-Est.
Ses travaux portent sur la gestion des carrières des femmes, l’accès des femmes aux positions de pouvoir dans les organisations privées (entreprises) et publiques (universités), le management au féminin et sur la mise en œuvre de l’égalité professionnelle dans les entreprises.