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L’action syndicale confrontée aux effets tourbillonnants du droit

Stéphane Lamaire, Professeur associé au Cnam en droit du travail

Publié le 26 août 2024 Mis à jour le 28 août 2024

Depuis le début de ce siècle, le droit poursuit l’objectif d’une consécration de notre « démocratie sociale » par un renforcement du principe constitutionnel de participation tel qu’il est défini à l’alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946. Dans ce but, il semble assigner de multiples finalités différentes à l’action syndicale. En effet, le syndicalisme français toujours structuré sur un modèle pluriel de diverses grandes confédérations de tendance capables de coordonner l’action de fédérations professionnelles ainsi que des sections d’entreprises peut désormais prétendre participer à la formation de la Loi (article 1 du Code du travail).

©Werner Heiber de Pixabay

©Werner Heiber de Pixabay

Néanmoins, plusieurs évolutions juridiques récentes l’entraînent plutôt vers un certain « corporatisme d’entreprise » l’exposant à une relative perte de sa capacité de coordination des éléments qui la compose. En effet, l’affaiblissement voulu par le législateur de la branche professionnelle au profit du renforcement de l’entreprise, n’a pas fait que modifier le centre de gravité des relations professionnelles mais également la finalité générale du droit du travail. Cet article propose donc de revenir sur plusieurs transformations juridiques afin de mieux identifier le cap désormais fixé aux organisations syndicales représentatives.

La fin de la présomption de représentativité

Commençons par rappeler que le titre juridique de « représentativité » habilite les organisations les « plus aptes » à représenter une collectivité de salariés au sein de tous les champs professionnels afin de défendre leurs intérêts. Il s’avère que le souci d’une meilleure « concordance » des représentants et des représentés est à l’origine de la révision la définition de ce titre, dont il est tout aussi intéressant d’examiner le contenu que les modalités de sa formation.

Le label de « représentativité » n’est désormais plus présumé mais prouvé car cumulant sept critères associant authenticité et influence, s’examinant périodiquement au sein du ressort d’exercice de ses prérogatives. Si sa révision ne peut se résumer à l’échange d’une « légitimité historique » reposant sur l’action collective contre une autorité purement électorale, il n’en reste pas moins que ce titre ne s’octroie plus de manière descendante, mais ascendante, car calculé sur la base des résultats électoraux cumulés au sein des divers ressorts de la représentation (article L2121-1 du Code du travail).

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De surcroît, il n’est plus le pur produit de la Loi car les protagonistes sociaux ont contribué à sa révision juridique par le biais de négociations dont le résultat a été intégré au Code du travail (Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail). L’action syndicale a donc joué un rôle important dans le processus de « desserrement » de l’emprise de l’État sur les relations professionnelles en faisant du vote des salariés l’élément déterminant de sa définition. Il en ressort que la destination fixée correspond à un choix « négocié » entre l’État et les principaux intéressés.

Un lien renouvelé entre légitimité et représentativité

Par conséquent, quelle était la finalité de cette opération laissant les acteurs syndicaux définir de nouvelles règles leur permettant de déterminer périodiquement leurs propres représentants ? Pour répondre à cette question, expliquons qu’à son origine le titre de représentativité n’avait pour finalité que l’exercice du pluralisme au cœur de la liberté syndicale. Or, ce label se trouve désormais arrimé à la négociation collective dont l’évolution pose de manière différente la question de la légitimité des titulaires de ce titre juridique. En effet, quel que soit le ressort professionnel, les organisations syndicales représentatives sont désormais devenues avant toutes autres considérations des agents de la négociation collective.

En ce sens, le renforcement de la « démocratie sociale » passe en premier lieu par la consécration de la notion doctrinale de « Loi négociée », permettant aux organisations professionnelles de participer à la formation de la Loi les concernant. Or, malgré son apparat juridique (article L1 du Code du travail), cette réforme se révèle en définitive peu audacieuse, car si elle semble valoriser la négociation collective interprofessionnelle, elle ne lui donne pas réellement la place qui lui est due. En l’occurrence, le droit a fait le choix de prolonger une tradition de « concertation » sans véritable contrainte pour les pouvoirs publics.

Une procédure peu contraignante

À ce titre, la formation des cinq ordonnances du 22 septembre 2017 (complétées et mises en cohérence par l’ordonnance n°2017-1718, dite « ordonnance balai » puis ratifiées par la Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018) a bouleversé le droit du travail après une simple « consultation » des protagonistes sociaux, démontrant de cette manière la forte plasticité et le faible caractère contraignant de cette procédure juridique censée mieux associer les parties prenantes. En somme, « consulter » (demander un avis) n’est pas synonyme de « concerter » (échanger dans le but de s’entendre sur un projet) et encore moins de « négocier » (déterminer un accord entre deux parties).

Par conséquent, les acteurs syndicaux ont-ils consenti à un bouleversement des règles du droit du travail afin d’obtenir un faux semblant de victoire ? Il s’avère que la finalité de la révision du label de représentativité n’était pas uniquement de renforcer la participation à la détermination de la Loi mais se trouve être également la possibilité de négocier les modalités de gestion de l’entreprise. En effet, ce titre est désormais quelque peu contingent de l’organisation des scrutins professionnels d’entreprise qui lui sont associés, se trouve également asservi au large mouvement de décentralisation des relations professionnelles.

Au sein de ce dernier ressort où de larges champs ont été ouverts à la liberté contractuelle, les organisations syndicales représentatives paraissent poursuivre l’intérêt des salariés qu’elles défendent mais également celui de l’entreprise en question. Alors que historiquement la négociation au sein des branches avait pour finalité l’harmonisation des conditions de travail d’une profession, la négociation d’entreprise ne peut par essence déboucher que sur une certaine diversité. Néanmoins, il ne s’agit tout de même pas de participer à la détermination des décisions stratégiques de l’entreprise mais uniquement d’accommoder par la négociation des décisions prises par l’employeur. Au-delà de cette dernière réserve, l’action syndicale se trouve tout de même entraînée vers une perte de sa fonction de coordination, voire confrontée à des formes de concurrence impliquant mécaniquement une “autonomisation” des différentes sections d’entreprise qui la compose.

Orienter sans contraindre

Par conséquent, l’action syndicale agit-elle pour l’intérêt général (la Loi), pour celui de la profession (convention collective) ou de l’entreprise (accord d’entreprise) ? Tout bien considéré, ces différentes directions finissent par se rejoindre, car en leur qualité d’opérateurs chargés du déploiement des politiques publiques, les syndicats représentatifs au sein des entreprises apparaissent tout de même toujours agir pour le compte de l’intérêt général. En effet, par une large série d’injonctions légales à négocier (salaires effectifs, durée et organisation du temps de travail, épargne salariale, suivi de la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes, articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, lutte contre les discriminations, insertion professionnelle et maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés…), les pouvoirs publics déterminent l’"effectivité" de l’action syndicale qui se voit fixer pour mission de prolonger ou d’ajuster des décisions prises par ailleurs (articles L2241-1 à L2243-2 du Code du travail).

Au bout du compte, le droit positif oriente l’action des parties prenantes sans véritablement les contraindre. Dans le respect des objectifs fixés par la Loi, ils ont une liberté d’action leur permettant d’ajuster leurs modalités d’exécution. La stimulation par la Loi de la négociation collective participe alors d’une logique : « d’action publique négociée », (Guy GROUX, « L’action publique négociée, un nouveau mode de régulation ? Pour une sociologie politique de la négociation », Négociations, 2005/1, n° 3, p. 57)

Des forces centrifuges poussent donc vers une décentralisation alors que des forces centripètes soufflent vers une centralisation. Au centre de ces vents tourbillonnants, le droit s’est fixé comme objectif la valorisation de l’autorité des acteurs sociaux pour l’accomplissement d’une véritable « démocratie sociale ». Or, la finalité des protagonistes sociaux n’est pas uniquement de participer à la détermination de la Loi mais également de fixer les modalités de gestion de l’entreprise. Sur cette mer agitée, l’autorité publique devient alors un commanditaire de la négociation collective s’appuyant sur ce procédé désormais institué comme une modalité de l’action publique. Il en résulte que l’avenir de l’action syndicale passe par le respect d’un équilibre entre ces différents pôles.The Conversation

Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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