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En vue des canicules futures, il semble important de faire évoluer le droit du travail
Michel Miné Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs
Les vagues de chaleur et les périodes de canicule constituent désormais une réalité qui affectera chaque année les personnes au travail. Chaque salarié se trouve concerné mais plus particulièrement ceux qui œuvrent à l’extérieur comme les ouvriers agricoles, du bâtiment ou des travaux publics, ceux qui manutentionnent des charges lourdes ou encore ceux qui exercent leurs métiers dans des lieux où la température est déjà élevée comme les cuisines de restaurants, boulangeries, pressings ou ateliers de soudure.
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Parmi les risques connus, figurent l’aggravation de la pénibilité, des malaises, la déshydratation, des coups de chaleur, des accidents liés à une altération de la vigilance ou encore des risques psychosociaux dus aux situations de tension.
Pour l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la chaleur peut constituer un risque professionnel ayant de graves effets sur la santé et augmentant les risques d’accidents du travail. Les seuils sont de 30 °C pour une activité sédentaire et de 28 °C pour un travail nécessitant une activité physique. Le travail au-dessus de 33 °C présente des dangers pour la santé des travailleurs.
Certes, le droit du travail prévoit des dispositions de sauvegarde de la santé au travail lors des épisodes caniculaires. La protection effective des travailleurs gagnerait cependant à ce que soient adoptés de nouveaux textes plus précis.
Les principaux généraux applicables
En application de son obligation légale de sécurité, tout employeur est « obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail », en mettant en œuvre les principes généraux de prévention. Il doit ainsi procéder à une évaluation des risques professionnels dans l’entreprise avec la contribution des représentants des travailleurs au comité social et économique (CSÉ).
Cette évaluation doit inventorier dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (le DUERP) tous les risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise y compris ceux liés aux ambiances thermiques, comme les fortes chaleurs, en tenant compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe. Ce document doit être accessible à tous les travailleurs concernés dans l’entreprise.
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Dans le prolongement de cette évaluation, l’employeur doit définir et mettre en œuvre, après consultation des élus du CSÉ, une politique de prévention efficace pour protéger les salariés au regard des risques causés par l’influence des facteurs ambiants comme le niveau thermique. Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le DUERP doit comprendre « un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail qui fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir au regard de ces risques, précisant pour chaque mesure ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût, ainsi qu’un calendrier de mise en œuvre ».
Même s’il s’agit en priorité d’un document de prévention, le DUERP de l’entreprise sera examiné en cas de dégradation de la santé causée par le travail, dans tout contentieux, civil ou pénal, et les carences de l’entreprise sanctionnées. Le document doit être conservé pendant 40 ans.
Le droit prévoit que l’employeur mette à la disposition des travailleurs de l’eau potable et fraîche. Pour le secteur du bâtiment et des travaux publics, les entreprises doivent en fournir à raison de trois litres au moins par jour et par travailleur.
Des droits à mobiliser
En cas de température « élevée », au regard des recommandations de l’INRS, et de carence de l’entreprise en matière de prévention, plusieurs droits peuvent être mobilisés, avec le concours de différents acteurs, pour protéger la santé des travailleurs.
Tout représentant élu du personnel au CSÉ peut déclencher un droit d’alerte pour « danger grave et imminent » pouvant aboutir rapidement à l’adoption de mesures de mise en sécurité, notamment par arrêt du travail. Lorsque le médecin du travail constate, lui, la présence d’un risque pour la santé de travailleurs, ce qui peut relever d’une température élevée, il est prévu qu’« il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver ». Selon la loi, « l’employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite ».
Sur le rapport de l’inspection du travail constatant une situation dangereuse liée à la température élevée et résultant d’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention, le directeur régional du travail peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier. L’inspecteur du travail peut, dans certaines circonstances, saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir « ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque » telles que la fermeture temporaire d’un atelier ou chantier. Le mécanisme intervient lorsqu’il « constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur » résultant de l’inobservation de certaines dispositions du code du travail.
Le salarié, enfin, peut de lui-même se retirer de son poste de travail lorsqu’il a « un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », ce qui peut être lié à la chaleur. L’appréciation du risque est subjective et dépend de chaque personne, en fonction de différents paramètres (état de santé, âge, etc.). L’employeur ne peut demander au travailleur de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant d’une température élevée.
Des textes trop peu précis
De nombreuses imprécisions demeurent néanmoins. Ainsi le droit stipule-t-il que « les postes de travail extérieurs sont aménagés de telle sorte que les travailleurs puissent rapidement quitter leur poste de travail en cas de danger » et « dans la mesure du possible » soient protégés contre les conditions atmosphériques. Ce que sont ces « conditions atmosphériques » n’est pas précisé dans le code du travail.
Autre exemple, les jeunes travailleurs de moins de 18 ans ne doivent pas être affectés à des « travaux les exposant à une température extrême susceptible de nuire à la santé ». La notion n’est, à nouveau, pas définie, de même que lorsque le droit précise que dans les locaux de travail fermés, l’air doit être renouvelé de façon à éviter « les élévations exagérées de température ».
La Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés préconise, de son côté, l’évacuation des locaux au-delà de 34 °C, en cas d’« arrêt prolongé des installations de conditionnement d’air dans les immeubles à usage de bureaux ». Le code du travail en matière d’ambiance thermique dans les locaux de travail se montre en fait surtout soucieux de protection contre le froid.
Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, l’employeur peut décider en cas d’intempéries, après avis du comité social et économique, l’arrêt du travail ; les salariés perçoivent alors une indemnisation. Sont considérées comme intempéries les conditions atmosphériques « lorsqu’elles rendent dangereux ou impossible l’accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir ». Il s’agit du gel, de la neige, du verglas, de la pluie, du vent et des inondations du chantier, selon les lettres ministérielles du 20 janvier et du 15 avril 1947. Les températures élevées ne sont pas visées.
Un droit à améliorer
Les bouleversements climatiques impliquent des changements dans les conditions et l’organisation du travail. Dans cette perspective le droit du travail semble à actualiser pour assurer la santé au travail au regard des nouvelles réalités climatiques.
En France, le droit national demeure donc incomplet. Les ministères de la Transition écologique et du Travail ont récemment adopté des plans et instructions mais ceux-ci reposent pour l’essentiel sur des actions d’information, avec le rappel du droit applicable et l’incitation à la mise en œuvre de mesures de prévention comme l’aménagement des locaux et des horaires, du rythme de travail, des durées et fréquence des pauses. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique a, certes, émis l’idée d’instaurer dans la loi des journées réduites. Aucun projet de loi ne semble cependant pour l’instant dans l’agenda du gouvernement ; du côté des parlementaires de l’opposition, une proposition a été déposée le 20 juillet.
Au regard de l’insuffisance des législations nationales, la Confédération européenne des syndicats (CES) affirmait ainsi l’an passé :
« La crise climatique appelle à une législation de l’UE sur les températures maximales de travail. »
Penser des « valeurs limites d’exposition » à la chaleur, prévues dans une directive européenne comme pour les produits chimiques, pourrait reposer sur différents paramètres tenant aux conditions du travail selon qu’il s’effectue en intérieur ou à l’extérieur, sa nature ou l’environnement dans lequel il est effectué. Des données personnelles comme l’état de santé du salarié ou son âge pourraient également être prises en compte.
Lier la dégradation de la santé causée par le travail à des températures élevées du fait des nouvelles conditions climatiques et l’âge de départ à la retraite ne manquerait sans doute pas de pertinence.
Dans le bâtiment et les travaux publics, le régime d’indemnisation devrait être applicable en cas de température élevée pour raisons climatiques, au-delà du traitement des demandes au cas par cas (alertes « orange » et a fortiori « rouge »). Des règles économiques mériteraient également d’être révisées. Il s’agit d’éviter les pénalités de retard en cas de livraison tardive d’une construction causée par des arrêts de travail liés aux températures élevées. Les maîtres d’ouvrage devraient être tenus d’intégrer cette problématique lors de la fixation des délais, notamment pour les ouvrages relevant de la commande publique par les collectivités territoriales.
Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
L'auteur
professeur titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne