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Innover pour faire face à la crise : que peut-on apprendre des organisations humanitaires ?

Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion

Publié le 14 avril 2021 Mis à jour le 25 mars 2022

Du 17 mars au 11 mai 2020, alors que toute la France se confine sous l’effet de l’épidémie de la Covid-19, les sans-abris, encore isolés, sont les seuls à occuper les rues désertées.

solidarité ©pixabay

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Les associations humanitaires se mobilisent plus que jamais pour continuer à leur apporter de l’aide. Elles se réorganisent, se réinventent et s’adaptent pour un seul objectif : « éviter de remettre les SDF à la rue ! »

Peut-on apprendre de ces organisations humanitaires et la façon dont elles ont innové pour gérer les situations de crise ?

Au-delà de ses conséquences économiques, politiques et sociales, la pandémie de la Covid-19 constitue aussi une crise humanitaire, une crise en matière de sécurité et de droits de l’homme, ayant provoqué une croissance exponentielle du nombre de personnes ayant besoin d’aide humanitaire, une forte augmentation de la pauvreté, d’importantes fragilités et de graves inégalités au sein et entre les nations.

Sous l’effet de la pandémie, le nombre de nouveaux pauvres dans le monde est estimé entre 119 et 124 millions en 2020. Sur la base des prévisions de janvier 2021, on estime que ce nombre devrait s’établir entre 143 et 163 millions. De même, l’ONU estime que le nombre de personnes dans le monde ayant besoin d’une aide humanitaire s’élèvera à 235 millions en 2021, soit une augmentation de 40 % par rapport à l’année dernière.

En France, malgré cette crise, la solidarité ne faiblit pas. Bien au contraire, elle s’organise et se raffermit pour atténuer l’isolement des plus vulnérables et maintenir le lien social. Dès le début du confinement, le gouvernement lance la Réserve civique-Covid 19 jeveuxaider.gouv.fr qui met en lien les citoyens et les associations afin de continuer à aider les plus démunis et les plus vulnérables. Grâce à cette plate-forme, plus de 330 000 bénévoles en France soutiennent d’aujourd’hui plus de 5000 associations et organisations publiques.

Des initiatives solidaires très importantes se multiplient, que ce soit par des dons, des actions bénévoles, des plates-formes, de multiples hashtags comme #quarantaide #COVID19france #TousSolidaires…

Le cas Emmaüs Solidarité

Comme de nombreuses associations humanitaires, Emmaüs Solidarité a subi de plein fouet la crise sanitaire. Cette association œuvre au quotidien pour que chacun trouve une place dans la société à partir des services élémentaires qu’elle réalise (hygiène, santé, vestiaire), des missions d’accueil, d’écoute, de réconfort et d’orientation qu’elle propose pour les personnes les plus fragiles, les plus désocialisées et les plus blessées par la vie : celles qui vivent à la rue. Le confinement a durement touché son activité comme le souligne Monsieur Bruno Morel, DG de l’association :

« Une situation particulièrement difficile à gérer, marquée par la croissance du nombre de personnes suivies, l’impossibilité à tenir des réunions entre bénévoles et salariés confinés et à organiser des évènements publics, la suspension des ateliers d’information auprès des personnes accueillies et hébergées. »

Pour ces personnes déjà précaires, le manque de nourriture s’ajoute à l’isolement social et psychologique puisque les services de première nécessité et de santé ne sont quasiment plus accessibles :

« Il est devenu impossible d’accéder aux toilettes des bars et des restaurants ou difficile de faire la manche dans les rues. »

Avec la pandémie, l’association se trouve confrontée à un nouveau public composé de plus de femmes et de jeunes, avec de nouveaux défis comme les violences sexuelles ou conjugales, l’abandon, la rupture de soins… Selon le DG, « la fréquentation par les femmes a augmenté de 32 % entre 2019 et 2020 ».

Mobiliser des ressources

La crise impose aux associations des contraintes fortes en termes de capacités en ressources humaines, moyens techniques, matériels adaptés et une disponibilité des ressources financières.

Face à ces contraintes, de nombreuses associations humanitaires comme Emmaüs Solidarité, Emmaüs International, la Croix-Rouge française, Coallia, Solidarités International et autres multiplient les mesures et renforcent les capacités : veille informationnelle continue, multiplication des maraudes, distribution de tickets services et répartition équitable des dons reçus auprès des personnes fragilisés par la pandémie, gestion intensive des stocks de matériel de protection pour répondre à tous les besoins…

Les gestes barrières imposés par la crise Covid-19 représentent par ailleurs un vrai dilemme pour les professionnels des associations humanitaires en contact avec les personnes en difficulté ; un dilemme qui impose de renoncer à la création du lien social qui est au cœur de leur métier, leurs priorités et leurs valeurs.

« Avec les règles de distanciation sociale, on se sent un peu dans la contradiction d’assumer notre rôle de partager, de créer un lien social et de vivre ensemble. » (Chef de service de maraude, Emmaüs Solidarité)

Les professionnels des associations humanitaires sont mobilisés plus que jamais pour resserrer les relations avec les personnes vulnérables, les écouter, comprendre leurs besoins et leur apporter une aide humanitaire de qualité malgré la gravité de la situation sanitaire. De nombreux partenariats sont créés entre les associations comme le cas Emmaüs Solidarité avec Samusocial de Paris, Secours catholique, la Croix-Rouge française, mais aussi avec les collectivités, les restaurants et les établissements hôteliers afin de continuer à accueillir gracieusement et solidairement les personnes en besoin d’aide.

Pour continuer d’aider les sans-abris en pleine pandémie, les associations humanitaires ont dû s’adapter.

Modifier les pratiques et repenser le mode d’organisation

La pandémie a imposé une révision profonde et durable des pratiques organisationnelles et managériales des organisations, quelles que soient leur nature. A ce titre, l’association la Croix-Rouge française a dû repenser en urgence son mode d’organisation en procédant à la suspension de certaines activités, au maintien, à l’adaptation et au rajout d’autres activités liées spécifiquement à la Covid-19.

De son côté, Emmaüs Solidarité a procédé au remplacement des salariés en arrêt de travail (garde d’enfants, personnes à risque et autres) par le recours à des renforts externes et à l’intérim ; à la réalisation de ses missions sur des sites plus proches géographiquement des personnes en besoin d’aide humanitaire…

Quelles leçons peut-on tirer ?

La gestion des associations humanitaires en temps de crise comporte des enjeux importants de continuité et de pérennisation de leur mission sociale. Celle-ci prend un sens très littéral en faisant face à des contraintes de coordination et de gouvernance multiples, en amont, mais aussi en aval, puisque la crise impacte drastiquement les personnes en besoin de l’aide humanitaire qui leur représente « une question de vie ou de mort ».

Nous pouvons ainsi retenir que les maîtres mots de la gestion de la crise sont la veille informationnelle et la communication ; le redéploiement des ressources ; la capacité de se réorganiser, de faire face aux paradoxes et d’adapter « en urgence » les pratiques et le mode de travail. Au-delà de toutes ces mesures, l’essence même de la gestion de la crise est sans doute l’harmonie entre tous les collaborateurs de l’organisation qui doivent rester unis et déterminés.The Conversation

Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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