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Vélo ou voiture électrique ? Comment nos choix de mobilité impacteront la santé publique

Léo Moutet, Doctorant en sécurité sanitaire, Conservatoire national des arts et métiers, Aurélien Bigo, Chercheur sur la transition énergétique des transports - chaire Énergie et Prospérité - Institut Louis Bachelier, École normale supérieure, Ensae ParisTech, École polytechnique,Kévin Jean Professeur junior en Santé et Changements Globaux, Université Paris Dauphine – PSL Laura Temime Professor, Conservatoire national des arts et métiers ,Philippe Quirion, Directeur de recherche, économie, CNRS

Publié le 11 décembre 2024 Mis à jour le 11 décembre 2024

La mise en œuvre de politiques publiques encourageant le recours aux modes de transport actifs (marche, vélo) plutôt qu’à la voiture améliore la santé de la population non seulement directement, mais aussi indirectement, en réduisant l’utilisation de combustibles fossiles, la pollution sonore et la pollution de l’air. De nouveaux travaux chiffrent ces bénéfices, en s’appuyant sur les quatre scénarios Transition(s) 2050 de l’Agence pour la transition écologique (ADEME).

©u_d7hddm5o de Pixabay

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Le secteur des transports, qui représente un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France, joue un rôle crucial dans la transition écologique qui doit impérativement être mise en place pour tenir compte des enjeux climatiques.

Parmi les solutions permettant de « décarboner » les transports, autrement dit de limiter le recours aux énergies fossiles, les transports actifs, qui incluent notamment la marche et le vélo (classique et électrique), se distinguent par leurs bénéfices pour la santé.

Ces modes de transport contribuent en effet non seulement à améliorer la qualité de l’air et à diminuer les émissions de CO2, mais aussi à favoriser l’activité physique régulière. D’un point de vue individuel, une personne qui remplace pour un déplacement quotidien la voiture par le vélo pendant 200 jours peut réduire ses émissions de CO2 de 0,5 tonne par an, tout en bénéficiant de nombreux effets positifs pour sa santé.

Nous avons évalué l’impact sur la santé des quatre scénarios de transition proposés par l’Agence pour la transition écologique (ADEME).

Cinq leviers pour diminuer les émissions dans les transports

En 2021, l’Agence pour la transition écologique (ADEME) a présenté les résultats du projet Transition(s) 2050, qui explore quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en France métropolitaine :

  • S1 (« Génération frugale ») ;
  • S2 (« Coopérations territoriales ») ;
  • S3 (« Technologies vertes ») ;
  • S4 (« Pari réparateur »).

Chaque scénario repose sur des choix sociétaux distincts, illustrant différentes trajectoires possibles vers une société décarbonée. Tous décrivent l’évolution des principaux facteurs influençant la consommation d’énergie et de matériaux, notamment la demande en transports, qui inclut les modes actifs. Ces estimations prennent également en compte les distances parcourues à pied pour accéder aux transports publics.

En parallèle, un scénario tendanciel prolonge les tendances de société actuelles sans atteindre l’objectif de neutralité carbone (scénario BAU, pour « Business As Usual »).

Dans cet exercice de prospective, cinq leviers sont utilisés pour diminuer les émissions dans les transports (diminuer la demande de transport, se reporter vers des modes moins émetteurs, augmenter l’occupation des véhicules, augmenter l’efficacité énergétique et décarboner la production énergétique), chaque scénario activant les différents leviers afin de satisfaire la demande de transport de la population d’ici 2050.

Là où S1 et S2 misent davantage sur les leviers de sobriété via la diminution de la demande, le report modal et une meilleure occupation des véhicules, S3 et S4 reposent principalement sur les leviers technologiques d’efficacité énergétique et de décarbonation de la production énergétique.

Dans notre étude, nous avons modélisé les effets sur la santé du transport actif en France dans le cadre des scénarios Transition(s) 2050, en nous basant sur la méthode de l’évaluation quantitative d’impact sanitaire.

Une amélioration de la santé

En tenant compte de la répartition actuelle des transports actifs par groupe d’âge, nous avons estimé les bénéfices pour la santé, tels que le nombre de décès évités et les années de vie gagnées par la population.

Les évolutions de la demande de transport actif entre 2021 et 2050 montrent des tendances distinctes selon les scénarios explorés. En 2015, les modes actifs en France généraient en moyenne et par personne 80 minutes d’activité physique modérée par semaine.

Si l’on suit le scénario S2, ces niveaux atteignent 150 minutes hebdomadaires à partir de 2035, soit l’équivalent des recommandations minimales de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur l’activité physique. Le scénario S1 y parvient quant à lui seulement 15 ans plus tard, en 2050.

En revanche, le scénario S3 reste insuffisant pour atteindre ces objectifs. Les scénarios S4 et tendanciel (« business as usual », autrement dit sans changement par rapport aux tendances actuelles) prévoient des évolutions limitées des transports actifs. Ces résultats, différenciés par groupe d’âge, illustrent des trajectoires inégales pour promouvoir l’activité physique en France.

Selon l’ampleur du report modal, les impacts sanitaires projetés, quel que soit l’âge, varient considérablement et s’amplifient avec le temps. Dès 2035, on peut attendre 19 000 décès évités si l’on suit le scénario S2. À l’inverse, si le scénario S4 est choisi, chaque année 2 000 décès supplémentaires (attribués à une diminution des déplacements à pied) pourraient être enregistrés par rapport au scénario tendanciel.

Ces indicateurs sanitaires peuvent être traduits en espérance de vie de la population : dans ces deux cas S2 et S4, elle pourrait alors respectivement augmenter de 3 mois ou diminuer de 0,2 mois.

Un rapport bénéfice-risque largement positif

Pour évaluer correctement les conséquences sur la santé du report modal, il est crucial de considérer certains facteurs supplémentaires, comme l’exposition à la pollution de l’air et les risques de blessures routières (pour les cyclistes notamment).

Dans notre étude, ces impacts sont considérés - indirectement - dans le calcul, car celui-ci est basé sur la mortalité « toutes causes confondues ».

On sait en outre grâce à diverses études que les bénéfices absolus de l’activité physique générée par les transports actifs l’emportent effectivement largement sur les effets négatifs liés à l’exposition à la pollution ou aux accidents de la route lors de la pratique.

Ainsi, de manière générale, l’exposition à la pollution de l’air des usagers de transport en commun et des cyclistes tend à être plus faible que celle des automobilistes, tandis que celle des piétons est la plus faible.

En ce qui concerne les accidents de vélo, il est attendu qu’ils diminuent avec l’augmentation des usages, un phénomène appelé la « sécurité par le nombre ».

Des avantages indirects

Au-delà des bénéfices sanitaires directs, l’augmentation du report modal dans les centres urbains contribuerait aussi à réduire la pollution sonore, améliorant ainsi la qualité du sommeil des habitants.

Par ailleurs, consacrer davantage d’espaces aux infrastructures cyclables, notamment en limitant l’espace dédié à la voiture, et générer du report vers les mobilités actives permet aussi d’optimiser l’utilisation de l’espace public.

Enfin, l’activité physique améliore également la qualité et les performances au travail, renforçant ainsi le bien-être des employés et leur productivité.

Des objectifs atteignables

Dans tous les scénarios étudiés, la majorité des bénéfices sanitaires sont issus d’une augmentation significative de la mobilité à vélo, en particulier grâce à l’essor des vélos électriques.

Le scénario le plus optimiste envisage que chaque Français parcourt 20 kilomètres à vélo et 7 kilomètres à pied par semaine en moyenne en 2050, soit environ 20 minutes d’activité physique modérée (marche et/ou vélo) par jour, contre 11 minutes en 2015. Bien que cette progression soit notable par rapport aux niveaux observés avant 2020, elle demeure en deçà de ce que l’on constate dans d’autres pays européens.

Ainsi, aux Pays-Bas, les transports actifs représentent déjà entre 24 et 28 minutes par jour ; plus de 50 % des trajets de moins de 2 kilomètres y sont effectués à vélo. En France, seulement 5 % de la population utilise un vélo pour des trajets de moins de 5 kilomètres, tandis que 60 % choisissent la voiture.

Si l’on suit la trajectoire actuelle de la feuille de route gouvernementale (Stratégie nationale Bas-Carbone), l’activité physique issue des pratiques cyclables permettrait de prévenir environ 5 000 décès sur l’année 2030 (par rapport aux niveaux observés en 2019).

Cependant, atteindre, en 2030, les niveaux de vélo contemporains de nos homologues danois ou néerlandais permettrait respectivement de doubler et quadrupler ces bénéfices.

Ces chiffres mettent en évidence le potentiel d’amélioration dans notre pays, et confirment que les niveaux projetés dans les scénarios S1 et S2 sont tout à fait réalisables.

L’évolution des pratiques cyclable pourrait donc être plus ambitieuse, comme le montre l’analyse des données de fréquentation cyclable dans certaines villes.

Encourager les transports actifs : par où commencer ?

Parmi les leviers dont on sait qu’ils sont efficaces pour encourager les transports actifs figure l’amélioration des aménagements urbains. Améliorer l’accessibilité et procurer des infrastructures sécurisées favorise en effet ces modes de déplacement.

En outre, lorsque des infrastructures adaptées existent, le coût important de la voiture incite les usagers à l’abandonner au profit de la marche ou du vélo.

Les bénéfices sanitaires liés à l’usage du vélo sont considérables et peuvent aussi encourager les décideurs à mettre en place des politiques publiques pour favoriser sa pratique. Voire, convaincre la population de s’y convertir…

Malheureusement, alors que le gouvernement avait promis en 2023 un plan vélo ambitieux à 2 milliards d’euros, qui présentait une attention particulière aux zones rurales et périurbaines, celui-ci semble avoir disparu du budget 2025.

Les collectivités qui s’étaient engagées dans des politiques cyclables pourraient voir disparaître un levier financier indispensable. Si les mesures essentielles à la transition vers une société plus résiliente s’en trouvaient vulnérabilisées, cela aurait des conséquences pour l’environnement comme pour la santé…The Conversation

Léo Moutet, Doctorant en sécurité sanitaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM); Aurélien Bigo, Chercheur sur la transition énergétique des transports - chaire Énergie et Prospérité - Institut Louis Bachelier, École normale supérieure, Ensae ParisTech, École polytechnique; Kévin Jean, Professeur junior en Santé et Changements Globaux, Université Paris Dauphine – PSL; Laura Temime, Professor, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et Philippe Quirion, Directeur de recherche, économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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