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Coronavirus VII : le retour

Arnaud Fontanet, professeur du Cnam et directeur de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur

Publié le 30 janvier 2020 Mis à jour le 11 février 2021

Depuis la mi-décembre 2019, l'apparition d'un nouveau coronavirus en Chine fait craindre une épidémie semblable à celle du SRAS, qui a causé entre 2002 et 2003 la disparition de 774 personnes dans 35 pays différents. Que sait-on à l'heure actuelle des risques de mortalité et de contagion de ce 7ème coronavirus ? A t-on une idée précise du nombre de personnes touchées et quelles sont les populations à risque ? Arnaud Fontanet, professeur du Cnam et directeur de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur, nous livre un état des connaissances scientifiques disponibles à ce jour.

Virions icosaédriques au microscope électronique @CDC/Dr. Fred Murphy

Virions icosaédriques au microscope électronique @CDC/Dr. Fred Murphy

Le 29 décembre 2019, la Chine notifie à l’OMS la présence d’un foyer de pneumopathies d’allure virale, sans étiologie connue, qui s’est déclaré à la mi-décembre dans la ville de Wuhan, dans la province du Hubei. Parmi les 27 cas, 7 sont dans un état critique. La plupart d’entre eux travaillaient dans un marché de fruits de mer de la ville. A la lecture de cet avis, certains évoquent un foyer de grippe aviaire, dont la Chine est coutumière, mais c’est plutôt l’émergence d’un nouveau coronavirus qui inquiète les experts, tant cette histoire rappelle celle du SRAS dans la province de Canton en 2003.

Le SRAS : 35 pays touchés, 8000 malades, 774 morts, plus de 50 milliards de dollars de pertes pour la province de Hong Kong. Cette épidémie, partie des marchés du sud-est de la Chine en novembre 2002, est d’abord minimisée par les autorités chinoises. Il a fallu qu’un médecin de l’hôpital de Canton infecte en février 2003 dix personnes dans un hôtel de Hong Kong pour que l’épidémie s’exporte en une semaine vers le Canada, les Etats-Unis, l’Irlande, Singapour, et le Vietnam. Le 12 mars 2003, l’OMS lance l’alerte mondiale. Les patients infectent massivement les personnels soignants, désorganisant les hôpitaux et l’ensemble des structures sanitaires. L’aéroport de Hong Kong est fermé pendant un mois ; la compagnie aérienne Cathay Pacific vacille. Des mesures drastiques d’isolement des patients, de mise en quarantaine de leurs contacts, et de restriction des déplacements dans les villes chinoises viennent à bout de l’épidémie, à moins que ce ne soit l’arrivée de l’été qui chasse ce virus plus habitué aux températures hivernales. En juillet 2003, les derniers cas sont recensés à Taïwan. La fin de l’épidémie de SRAS est officiellement déclarée. L’enquête montrera que ce nouveau coronavirus était hébergé par des civettes palmistes masquées, petits carnivores de la taille d’un chat vendus dans les marchés du sud-est de la Chine, pour être consommées dans les restaurants de cuisine exotique. Et en amont de la civette, une chauve-souris du genre Rhinolophus, au nez en forme de fer à cheval, a été identifiée comme étant le réservoir du virus.

Revenons à Wuhan : début janvier 2020, les autorités chinoises ferment le marché suspecté d’abriter l’animal porteur de ce nouveau virus. Le 10 janvier, les scientifiques chinois publient sur virological.org la séquence génétique complète d’un nouveau coronavirus retrouvé chez les patients de Wuhan. Ce coronavirus, le 7ème à infecter l’espèce humaine, est à 80% similaire, génétiquement, au coronavirus du SRAS, et à 96% similaire à un coronavirus de chauve-souris du genre Rhinolophus. Tous les laboratoires de référence du monde travaillent d’arrache-pied à la mise au point d’un test diagnostique spécifique de ce nouveau coronavirus, et le 15 janvier, la Thaïlande puis le Japon annoncent avoir identifié ce nouveau coronavirus dans les prélèvements respiratoires de voyageurs chinois en provenance de Wuhan. On s’interroge : comment se fait-il que deux cas soient diagnostiqués à l’étranger, alors que seulement 41 patients sont déclarés en Chine ? Et les modélisateurs de l’Imperial College à Londres de publier le 17 janvier une estimation troublante : il y aurait autour de 1700 patients à Wuhan, et non seulement 41. Les autorités chinoises, mises à mal par ces estimations, reconnaissent 50 cas supplémentaires le lendemain, puis 100 le surlendemain, et les chiffres s’emballent.

La grande question devient celle d’une transmission inter-humaine : tous les patients ont-ils été contaminés par un animal dans le marché de Wuhan, sans transmission secondaire, et l’épidémie s’arrêterait d’elle-même ? Où y a-t-il eu transmission d’homme à homme, et l’épidémie a vocation à devenir planétaire ? Sous la pression internationale, les autorités chinoises reconnaissent la contamination de 16 personnels soignants ayant pris en charge des malades, admettant de facto la possibilité d’une transmission inter-humaine. La crise devient mondiale, alors que les pays déclarent les uns après les autres l’identification de cas importés sur leur sol. En France, les trois premiers cas seront admis dans les hôpitaux de Bordeaux et de Paris le 24 janvier 2020.

Outre la similitude génétique de ce nouveau coronavirus avec celui du SRAS, et l’utilisation des mêmes récepteurs ACE2 à la surface de l’épithélium de l’arbre respiratoire, les manifestations pulmonaires liées à ce nouveau coronavirus sont proches de celles du SRAS. Les enfants sont curieusement épargnés, et ce sont les personnes âgées, avec co-morbidités, qui payent le plus lourd tribut à la maladie. Il n’existe pas de traitement connu pour être efficace contre les coronavirus. Et pas de vaccin non plus.

La lutte s’organise, axée sur la détection précoce des cas, leur isolement, et la mise en quarantaine de leurs contacts pendant 14 jours (durée maximale de l’incubation). Les premières analyses suggèrent que ce coronavirus serait moins létal que celui du SRAS (10% de mortalité), mais plus transmissible. En Chine, la situation s’aggrave : ce ne serait plus 4000 personnes infectées, mais dix fois plus selon les estimations des modèles mathématiques publiés le 25 janvier par les équipes de Hong Kong. Le gouvernement chinois prend des mesures radicales, mettant à l’isolement la ville de Wuhan, puis les métropoles voisines, soit plus de 50 millions de personnes.

A la date du 29 janvier, où se termine la rédaction de ce premier billet, personne ne peut dire quelle sera l’ampleur de cette nouvelle pandémie. Tous les scénarios sont possibles.


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