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Nutri-score : son efficacité est prouvée, sauf en cas de conflit d’intérêts
Stéphane Besançon, professeur associé au Cnam
Le logo Nutri-score, apposé sur la face avant des emballages des aliments, est un outil de santé publique destiné à mieux informer les consommateurs sur la composition nutritionnelle des aliments afin d’orienter leurs choix vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle et donc plus favorables à la santé. Il vise aussi à inciter les industriels à reformuler les aliments qu’ils produisent pour en améliorer la qualité nutritionnelle.
Nutri-score : son efficacité est prouvée, sauf en cas de conflit d’intérêts
Nous avons décidé d’étudier ces allégations. Pour cela, nous avons analysé toutes les études scientifiques menées depuis 8 ans sur le Nutri-score. Publiées dans la très sérieuse revue BMJ Global Health, les conclusions de nos travaux indiquent que, dans la très grande majorité des cas, les résultats des études portant sur le Nutri-score sont positifs.
Ils révèlent surtout qu’une étude portant sur le Nutri-score a 21 fois plus de chances d’aboutir à des résultats défavorables pour ce logo nutritionnel si les auteurs déclarent un conflit d’intérêts, ou si l’étude est financée par l’industrie alimentaire…
83 % des études publiées depuis 2014 sont favorables au Nutri-score
La première étape de notre travail a consisté à effectuer une recherche systématique dans la base de données bibliographique de référence Pubmed afin d’identifier les articles scientifiques sur le Nutri-score (ou sa version initiale le logo 5 couleurs, aussi appelé « logo 5C ») publiés dans des revues à comité de lecture.
Au total, 149 articles correspondant à ces critères ont été publiés depuis 2014. Parmi eux, 125 publications concernaient des articles originaux présentant des résultats spécifiques d’analyses testant les caractéristiques et les performances du Nutri-score, évalué en tant que tel ou en comparaison à d’autres logos nutritionnels (existants ou soutenus par des groupes privés). 24 articles n’étaient pas des articles originaux, mais correspondaient à des revues générales incluant des articles de synthèse, des revues narratives, des articles conceptuels et divers textes portant sur le contexte de déploiement du Nutri-score.
Sur les 125 articles originaux, 15 ne portaient pas sur l’efficacité du Nutri-score, celui-ci n’étant utilisé que pour décrire certaines caractéristiques spécifiques des aliments ou pour évaluer de façon factuelle les conditions de son déploiement (évolution de son adoption par les industriels, rôle des lobbys, etc.).
Finalement, sur les 134 articles originaux et revues générales qui jugent, avec différents critères, les performances de Nutri-score, 111 sont considérés comme ayant des conclusions positives pour le Nutri-score, tant sur sa construction que sur son utilisation et son impact. Autrement dit, 83 % des études menées depuis 2014 ont abouti à des conclusions en faveur du Nutri-score.
À l’inverse, 17 % de travaux soit ne présentaient pas de résultats clairement favorables au Nutri-score, soit présentaient des résultats franchement défavorables (concluant que ce logo n’est pas efficace, a des effets moins favorables que d’autres logos, ou critiquant l’algorithme qui sous-tend le Nutri-score).
La phase suivante de notre analyse a consisté à étudier l’impact des conflits d’intérêts sur les résultats des différentes publications portant sur le Nutri-score.
Impact des conflits d’intérêt économiques
La présence de conflits d’intérêts et de financement privés pouvant représenter un conflit d’intérêts a été identifiée à partir des déclarations indiquées par les auteurs dans les publications que nous avons analysées.
Sur les 149 articles publiés, 11 (7 articles originaux et 4 revues générales) avaient déclaré des conflits d’intérêts des auteurs et/ou des financements privés.
Parmi les 111 études considérées comme favorables au Nutri-score, deux présentent un conflit d’intérêts ou un financement privé, soit 1,8 %. À l’inverse, 9 études sur les 23 considérées comme non favorables présentent un conflit d’intérêts ou un financement privé, soit 39,1 %.
La probabilité qu’un article ne soit pas favorable pour le Nutri-score est donc 21 fois plus forte si les auteurs déclarent un conflit d’intérêts ou s’il a fait l’objet de financements privés présentant un conflit d’intérêts.
En outre, les principales structures privées impliquées dans le financement (ou les conflits d’intérêts) des études défavorables au Nutri-score sont connues comme étant des opposants actifs au Nutri-score.
Enfin, soulignons que même après exclusion des 38 articles publiés par l’équipe de recherche universitaire qui a développé le Nutri-score (sans conflit d’intérêts), ainsi que les 35 articles qu’elle a publiés en association avec différentes équipes de recherche universitaire (également sans conflits d’intérêts), la probabilité de retrouver des résultats défavorables au Nutri-score est encore 7 fois plus élevée que pour les articles déclarant un conflit d’intérêts ou qui sont financés par le secteur privé.
Le problème des biais de financement
Ces travaux indiquent une nouvelle fois que certaines études impliquant des acteurs industriels de l’agroalimentaire vont en général dans le sens des positions ou défenses des intérêts des financeurs. Ce biais de financement avait déjà été décrit dans plusieurs travaux antérieurs.
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Ainsi, en 2020, une étude analysant les publications de l’année 2018 dans 10 revues de nutrition et diététique a montré que plus de la moitié (55 %) des articles dans lequel l’industrie agroalimentaire est impliquée aboutissent à des résultats favorables à ses intérêts, contre seulement 9,7 % des articles publiés sans implication de l’industrie alimentaire dans leur financement.
Le Nutri-score, un outil de santé publique scientifiquement validé
Pour conclure, rappelons que les scientifiques et professionnels de santé, notamment au travers des sociétés savantes scientifiques et comités d’experts en France et en Europe, ainsi que de nombreuses institutions de recherche et de santé publique (comme le Centre International de Recherche contre le Cancer de l’Organisation mondiale de la santé) considèrent que le Nutri-score s’appuie sur des travaux scientifiques suffisamment robustes – tant dans sa construction que dans la démonstration de son efficacité et de son utilité en termes de santé publique – pour justifier qu’il soit rendu obligatoire en Europe.
Notre analyse de la littérature scientifique sur le Nutri-score soutient fortement qu’il s’agit d’un outil de santé publique que l’on peut considérer comme validé scientifiquement.
Elle plaide également pour la prise en compte des conflits d’intérêts et des financements industriels, qui apparaissent comme un élément majeur pour juger de la qualité intrinsèque d’une publication. En particulier lorsqu’il s’agit de juger de la pertinence et des performances d’un outil de santé publique comme le Nutri-score, qui est fortement combattu par un certain nombre d’acteurs économiques…
Stéphane Besançon, Associate Professor in Global Health at the Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) / CEO NGO Santé Diabète, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.