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Non, tout le monde n’a pas grossi pendant le confinement

Mélanie Deschasaux, Université Sorbonne Paris Nord – USPC; Mathilde Touvier, Université Sorbonne Paris Cité et Serge Hercberg, Cnam et Université Sorbonne Paris Nord

Publié le 27 août 2020 Mis à jour le 11 février 2021

Pour briser les chaînes de transmission du coronavirus SARS-CoV-2, responsable de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement français a appliqué des mesures de confinement sévères, du 17 mars au 11 mai 2020. Du jour au lendemain, la vie quotidienne de la population s’est trouvée radicalement modifiée.

Les habitudes en lien avec la nutrition, c’est-à-dire l’alimentation, l’activité physique, la gestion du poids, sont susceptibles d’avoir été fortement impactées par le mode de vie imposé par le confinement. Or, on sait qu’une mauvaise nutrition constitue un facteur de risque majeur en matière de survenue de maladies chroniques telles que diabète, maladies cardio-vasculaires ou cancer. Pire, elle pourrait également avoir un impact sur le fonctionnement du système immunitaire, et donc sur le risque d’infection par le coronavirus ou sur le pronostic de la maladie Covid-19 qu’il provoque.

Pour cette raison, il est important de faire le point sur les conséquences du confinement : comment a-t-il modifié les comportements nutritionnels des Français ? Leur corpulence a-t-elle été affectée ?

Pour répondre à ces questions, notre équipe a sollicité, en plein confinement (avril–mai 2020), les participants à la cohorte NutriNet-Santé. Voici les résultats de notre étude.

Une analyse sur plus de 37 000 adultes

L’étude NutriNet-Santé est une étude de santé publique coordonnée par l’EREN (équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle – Inserm/Inrae/CNAM/Université Sorbonne Paris Nord), qui, grâce à l’engagement et à la fidélité de plus de 170 000 « Nutrinautes » fait avancer la recherche sur les liens entre la nutrition et la santé. Lancée en 2009, l’étude a déjà donné lieu à plus de 200 publications scientifiques internationales.

Nous avons demandé aux participants de la cohorte NutriNet-Santé de répondre à des questionnaires relatifs à leur alimentation (incluant 3 enregistrements alimentaires de 24h), leur activité physique (dont une version courte de l’International Physical Activity Questionnaire, IPAQ, questionnaire évaluant l’activité physique globale et le niveau de sédentarité) et leur poids durant cette période.

Après redressement statistique permettant de « caler » la distribution sociodémographique (sexe, âge, lieu de résidence, catégorie professionnelle) des participants sur celle de la population française (Insee), une analyse a ainsi pu être conduite sur les réponses d’un peu plus de 37 000 adultes résidant en France métropolitaine.

Cette étude, menée sur plus de 37 000 adultes, fournit un tour d’horizon de l’évolution des comportements nutritionnels et de la corpulence pendant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 en France.

Des pratiques alimentaires dégradées pour une partie de la population

Pendant le confinement, sur une période d’environ deux mois, 35 % des participants avaient pris du poids, avec +1,8 kg en moyenne. Par ailleurs, 53 % ont déclaré avoir diminué leur activité physique et 63 % avoir été plus sédentaires, restant assis jusqu’à 7 heures par jour.

Une augmentation de l’apport énergétique a également été observée pour 25 % des participants. Au-delà de la « balance énergétique » (c’est-à-dire l’équilibre entre l’énergie apportée par l’alimentation et l’énergie dépensée par l’activité physique), 21 % des participants annonçaient grignoter plus fréquemment, avec une fréquence de grignotage d’au moins une fois par jour pour 28 % d’entre eux.

Durant le confinement, la consommation de produits frais a diminué dans une partie de la population. Chantal Garnier/Unsplash

Du point de vue des aliments consommés, une augmentation des sucreries, biscuits et gâteaux, et une diminution des produits frais, et notamment des fruits et du poisson, ont été observées.

Enfin, 18 % des participants déclaraient manger plus pour compenser l’ennui, et 10 % à cause du stress.

Stress, manque de temps, perte de choix, compensation

Ces différentes évolutions étaient retrouvées le plus souvent de façon conjointe chez des participants âgés de moins de 50 ans, de sexe féminin, avec un plus haut niveau d’éducation, mais de plus faibles revenus, des enfants présents à la maison, en télétravail pendant le confinement.

Ces personnes présentaient par ailleurs un plus haut niveau d’anxiété et de symptômes dépressifs. Avant le confinement, elles consommaient habituellement une plus forte proportion d’aliments ultra-transformés que les autres personnes interrogées.

Ce profil semble suggérer que ces modifications défavorables étaient vraisemblablement liées à un manque de temps et une surcharge associés au cumul du télétravail et de l’attention à apporter aux enfants au cours de la journée.

Une compensation par l’alimentation (notamment par les aliments « plaisirs ») des sentiments négatifs associés au confinement a pu également jouer un rôle, ainsi qu’une habitude plus importante à recourir à des produits déjà préparés.


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La perte d’options pour faire de l’exercice (fermeture des clubs et salles de sport, etc.) ou pour manger hors domicile (restaurants, restauration collective sur le lieu de travail), ainsi que la limitation de l’accès aux lieux d’approvisionnement alimentaire habituels ont probablement aussi joué un rôle.

Des bénéfices pour une partie de la population

À l’inverse, une part non négligeable de notre population d’étude a connu des évolutions nutritionnelles plutôt positives. En effet, 19 % des participants ont déclaré avoir augmenté leur activité physique, 33 % ont diminué leurs apports énergétiques et 23 % ont perdu du poids (-2 kg en moyenne).

Certains participants ont également profité du confinement pour passer plus de temps à cuisiner des plats « maison » (40 %) ou pour rééquilibrer leur alimentation (14 %). En particulier, 21 % ont déclaré avoir modifié leur alimentation pour éviter de prendre du poids et 17 % pour compenser une baisse de leur activité physique, des adaptations conscientes aux modifications induites par le confinement. Des augmentations de la consommation de fruits et légumes, légumineuses et fruits à coques, et une diminution de la consommation de sandwichs, pizzas et tartes ont également été notées chez certains participants.

Prise de conscience

Ces évolutions ont été retrouvées le plus souvent de façon conjointe chez des participants âgés de moins de 50 ans, en surpoids ou obèses au début du confinement, fumeurs, avec un plus haut niveau d’éducation, mais aussi de revenus. Il s’agissait plutôt de personnes sans enfants à la maison, en situation de chômage partiel ou de télétravail pendant le confinement ou encore étudiants (mais vraisemblablement ici ceux qui ne se trouvaient pas en situation précaire).

Par ailleurs, ces individus présentaient un plus haut niveau d’anxiété, mais un plus faible niveau de symptômes dépressifs. Avant le confinement, leur alimentation habituelle était de moindre qualité nutritionnelle.

Certaines personnes en surpoids ont décidé de modifier leur alimentation durant le confinement. Shutterstock

Ces modifications semblent avoir été une adaptation favorable à la situation de confinement, entreprise par des individus avec davantage de moyens ou d’opportunités, mais aussi avec une marge de progrès plus importante au niveau nutritionnel. Parmi cette catégorie figurent les personnes potentiellement davantage préoccupées par leur santé et leurs risques face à la Covid-19, du fait de l’existence de comorbidités, par exemple les individus en surpoids ou obèses.

Des changements qui ne concernent pas tout le monde

Enfin, certains participants ont indiqué avoir maintenu des comportements nutritionnels relativement stables pendant le confinement. Le plus souvent, il s’agissait d’individus âgés de plus de 50 ans, de sexe masculin, de poids normal, avec un plus faible niveau d’éducation, vivant dans des villes de taille limitée (inférieure à 100 000 habitants) ou en zone rurale.

Ils étaient sans emploi avant le confinement (retraités, au chômage, au foyer, etc.), ou au contraire avaient poursuivi une activité professionnelle hors domicile pendant le confinement, comme les travailleurs des secteurs « essentiels ».

Ces personnes présentaient des niveaux d’anxiété et de symptômes dépressifs moins élevés. Avant le confinement, leur alimentation habituelle était de plus grande qualité nutritionnelle et composée d’une moindre proportion d’aliments ultra-transformés.

Ce profil « stable » correspond vraisemblablement à des individus dont les habitudes de vie ont été moins modifiées que celles des autres catégories. Notamment des personnes sans activité professionnelle avant le confinement, ou celles ayant continué à travailler en dehors de leur domicile. On trouve aussi dans cette catégorie les individus dont le profil nutritionnel était plus favorable avant le confinement : alimentation de meilleure qualité, moindre recours aux produits déjà préparés, poids normal.

Un approvisionnement modifié

Le confinement ayant induit des restrictions de déplacements et encouragé la population à rester à la maison, il a fallu ajuster l’approvisionnement.

Les participants ont ainsi déclaré avoir réduit le nombre de lieux utilisés pour leurs courses alimentaires, avec 3,6 lieux différents en moyenne par personne, soit 1,1 de moins qu’avant le confinement. Les 3 lieux d’approvisionnement les plus plébiscités pendant le confinement étaient le supermarché (66 %), la boulangerie (60 %) et l’épicerie (41 %). La fréquentation des marchés a fortement diminué (vraisemblablement du fait de leur interdiction partielle), tandis que le recours aux achats à distance ainsi qu’aux paniers producteurs a légèrement augmenté.

Le confinement a compliqué les sources d’approvisionnement et généré un stress important pour une partie de la population. Adrien Delforge/Unsplash

Par ailleurs, si environ 27 % des individus ont déclaré être stressés à l’idée de manquer de certains aliments pendant le confinement, seuls 3 % ont déclaré avoir stocké plus d’aliments que d’habitude par crainte de pénuries (mais 45 % déclarent l’avoir fait à cause de la fréquence réduite des achats).

Identifier les leviers du changement

Cette analyse a permis de mettre en évidence des trajectoires d’évolutions nutritionnelles contrastées, associées à des inégalités socioéconomiques.

Un point doit cependant être souligné : la cohorte NutriNet-Santé inclut plus de femmes et d’individus dont la position socioéconomique est plus élevée que dans la population générale (ce point est en partie corrigé dans cette étude, à l’aide d’un redressement statistique) ainsi que des individus avec une sensibilité accrue pour les sujets liés à la nutrition et à la santé. Les participants à cette étude sont donc plus à même d’adopter des comportements nutritionnels plus favorables à la santé.

Étant donné que le confinement a mené à des évolutions nutritionnelles plutôt défavorables à la santé, y compris au sein de cette cohorte présentant plutôt de bonnes prédispositions, ce constat suggère qu’il est nécessaire de porter une attention encore plus grande aux changements survenus dans la population générale.

Si les « mauvaises habitudes » prises durant le confinement se maintiennent sur le long terme, on pourrait en effet assister à une augmentation du risque de pathologies chroniques. Ces comportements pourraient aussi avoir un impact sur l’immunité. Une vigilance particulière sera donc nécessaire pour évaluer dans quelle mesure ces individus reviennent ou sont revenus à un profil nutritionnel plus sain après la fin du confinement.

Tout n’est cependant pas négatif : le confinement a aussi créé une opportunité d’améliorations nutritionnelles pour une part non négligeable de la population. Comprendre les leviers qui ont mené a ces changements de comportements pourrait permettre non seulement de les maintenir sur le long terme, mais aussi de les étendre à une plus grande partie de la population.


Vous aussi, participez à la cohorte NutriNet-Santé !

Un appel au recrutement de nouveaux Nutrinautes est lancé afin de continuer à faire avancer la recherche. Pour nous rejoindre, rendez-vous sur etude-nutrinet-sante.fr/.The Conversation

Mélanie Deschasaux, Chargée de Recherche, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Université Sorbonne Paris Nord – USPC; Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Paris 13, Université Sorbonne Paris Cité (USPC) et Serge Hercberg, Professeur de Nutrition Université Paris 13 - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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