Si ce taux représente une amélioration de la situation par rapport aux deux années précédentes, il signifie tout de même qu’à l’issue des concours, près de 12 % des postes d’enseignants du primaire et autant du secondaire n’étaient pas pourvus.
Le pendant de ce manque de candidats est le recours croissant à des personnels contractuels, c’est-à-dire à des non-fonctionnaires. Si leur part reste encore relativement limitée dans les corps enseignants par rapport à d’autres corps de l’Éducation nationale, elle a toutefois doublé dans le second degré public entre 2008 et 2023, passant de 5,1 % à 10,4 %. Bien qu’encore très faible (2,7 %), le phénomène s’étend depuis 2014 au premier degré.
Des enseignants recrutés selon des modalités différentes
Le mode de recrutement de ces enseignants contractuels a fait couler beaucoup d’encre, notamment à l’été 2022, suite aux journées de job dating organisées par l’académie de Versailles. Il est vrai qu’il n’a pas la complexité des concours nationaux par lesquels sont recrutés les fonctionnaires. Ces derniers doivent passer par des épreuves écrites puis orales, évaluées par un jury composé de plusieurs professionnels de l’éducation, et enfin valider leur année de stage.
En comparaison, les enseignants contractuels sont recrutés au niveau académique par le biais d’un entretien individuel (quasi systématique mais pas obligatoire) avec un(e) inspecteur(trice) d’académie. Une enquête de terrain menée auprès de ces personnels en charge du recrutement et de la formation des enseignants contractuels dans le second degré révèle en outre que leurs exigences peuvent varier en fonction des besoins auxquels ils sont confrontés.
Cette variabilité est permise par les textes réglementaires encadrant le recours aux contractuels dans l’enseignement, qui ne donnent aucune indication sur le déroulement concret du processus de recrutement, ni sur les critères de sélection, en dehors d’un niveau de diplôme minimum. Ce dernier est fixé au niveau de diplôme exigé pour se présenter aux concours internes : Bac+3 pour le CAPES et le CAPET internes, Bac+2 pour les sections générales et professionnelles du CAPLP interne. Les recrutements en dessous de ces niveaux de diplôme ne sont autorisés qu’« à titre exceptionnel », en l’absence de candidat répondant à ce critère.
Les inspecteurs rencontrés valorisent bien dans leur description du métier enseignant la compétence disciplinaire, et évoquent tous un niveau minimum en dessous duquel ils ne recrutent jamais, mais ils témoignent aussi d’un arbitrage constant entre l’urgence du besoin et la qualité du recrutement.
On retrouve ce tiraillement dans le discours de tous les acteurs rencontrés (inspecteurs mais aussi responsables de masters Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MEEF), syndicats, enseignants titulaires, et parfois les enseignants contractuels eux-mêmes). Ils craignent que le recours aux contractuels n’accentue la dévalorisation déjà importante du métier d’enseignant, tout en admettant qu’ils représentent aujourd’hui un rouage indispensable au fonctionnement de l’Éducation nationale. Ce que confirme d’ailleurs l’augmentation constante de leur part au sein des corps enseignants ces quinze dernières années.
Une diversité de situations en fonction des disciplines et des académies, et des profils variés
Ces chiffres globaux masquent cependant des disparités en fonction des disciplines. D’abord, les disciplines technologiques et professionnelles ont beaucoup plus recours aux contractuels que les disciplines générales (18,6 % contre 6,5 %). Parmi ces dernières, l’éducation musicale compte dans les rangs de ses enseignants 13,9 % de contractuels, les arts plastiques 10,1 %, tandis que l’éducation physique et sportive en compte moins de 5 %.
On observe également d’importantes variations entre les académies : alors que l’Île-de-France (académies de Paris, Créteil et Versailles) compte 11,3 % d’enseignants contractuels, la Normandie n’en compte que 5 %. L’académie la plus consommatrice est cependant Mayotte, où plus d’un enseignant sur deux est contractuel.
En outre, si les conditions d’emploi de ces enseignants contractuels sont toujours moins favorables que celles dont bénéficient les fonctionnaires, elles sont plus ou moins précaires selon les académies. Dans un objectif d’attractivité, les académies connaissant les plus grandes difficultés de recrutement (comme celle de Créteil) offrent parfois des contrats un peu plus longs et généralement des rémunérations un peu plus importantes qu’ailleurs.
La diversité la plus importante s’observe peut-être finalement dans les profils des enseignants contractuels. Une partie du vivier d’enseignants contractuels est issue des masters MEEF, qui préparent aux concours de l’enseignement. Certains étudiants se tournent vers le statut de contractuel après un échec au concours, pour financer une année de préparation supplémentaire, ou parce qu’ils espèrent ainsi augmenter leurs chances de réussite en acquérant de l’expérience.
S’ils n’ont pas réussi le concours, ils ont malgré tout reçu une formation à l’enseignement et à la pédagogie dans le cadre du master et constituent donc une main-d’œuvre privilégiée par les inspecteurs. Ces contractuels sont assez jeunes et se destinent en général à (re)passer le concours.
On trouve aussi parmi les contractuels des personnes un peu plus âgées, qui se tournent vers l’enseignement après une première carrière dans le privé.
Pour ces personnes en reconversion, de plus en plus nombreuses à rejoindre l’Éducation nationale, le statut de contractuel peut être préféré au passage du concours, notamment parce qu’il permet d’éviter les règles d’affectation auxquelles sont soumis les fonctionnaires. Par ailleurs, dans certaines académies l’expérience antérieure est prise en compte dans la rémunération des enseignants contractuels de l’enseignement technique et professionnel.
À côté de ces deux profils types, on trouve également des personnes voyant dans le statut de contractuels un moyen de « tester » le métier sans s’y engager durablement, mais aussi des personnes en recherche d’emploi qui ont été informées par France Travail (anciennement Pôle emploi) de la possibilité de devenir enseignant contractuel.
Des conditions d’emploi défavorables et une déperdition d’effectifs
Il est difficile de chiffrer avec précision la part de chacun de ces profils car il existe encore trop peu de statistiques précises sur ces personnels et leurs parcours, notamment en amont dans l’entrée dans l’Éducation nationale. Pour ce qui est de leur trajectoire une fois devenus enseignant, Bertrand Delhomme montre que, parmi les enseignants contractuels du second degré recrutés en 2010, la moitié n’enseigne plus huit ans plus tard.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Cette déperdition élevée est certainement à mettre en lien avec les conditions d’emploi défavorables qui sont offertes à ces contractuels. Au-delà de la question de l’attractivité du métier, ces constats interrogent sur la pertinence, notamment sur le long terme, du recours aux contractuels comme solution au manque de candidats aux concours.
Tandis que le nombre de candidats aux concours continue de baisser, les réponses apportées ne portent que rarement sur l’attractivité du métier ou le nombre de postes, privilégiant le recours aux contractuels. Cette dualité dans la profession pose des questions autant d’équité dans le travail que de qualité des enseignements et de l’organisation des établissements scolaires.
Célestine Lohier, Post-doctorante au Centre d'études de l'emploi et du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.