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États-Unis, un pays en plein doute

Thérèse Rebière, Professeur des Universités en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Isabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen Normandie

Publié le 20 septembre 2024 Mis à jour le 20 septembre 2024

En ce début de XXIe siècle, les États-Unis restent la première puissance mondiale. Pourtant, l’élection présidentielle de 2024 s’ouvre dans un contexte d’extrême tension entre les camps démocrate et républicain. Malgré les bons résultats de l’économie américaine, différentes raisons peuvent expliquer cette polarisation des esprits.

©Sophie Maus de Pixabay

©Sophie Maus de Pixabay

Dans « Les États-Unis au XXIᵉ siècle en faits et en chiffres », qui vient de paraître aux Éditions Ellipses et dont nous vous proposons plusieurs extraits ci-dessous, les économistes Thérèse Rebière (Conservatoire national des arts et métiers) et Isabelle Lebon (Université de Caen Normandie), reviennent sur les facteurs de cette polarisation, depuis les conséquences des trois crises que le pays a traversées (attentats du 11 septembre 2001, crise des subprimes, crise Covid) jusqu’à la situation internationale, à l’heure où les États-Unis, confrontés au défi croissant posé par la Chine, hésitent entre interventionnisme et isolationnisme, en passant par l’évolution démographique du pays dans un contexte d’inégalités persistantes entre les communautés.


Les crises…

Les attentats du 11 septembre 2001 ont forgé ce qui restera peut-être comme les images les plus traumatiques de la mémoire collective américaine : les images des tours jumelles du World Trade Center, situées à Manhattan dans le quartier des affaires new-yorkais, en feu après avoir été percutées par des avions de ligne, puis s’écroulant l’une après l’autre dans un nuage de débris. Du fait même de ces images et parce que rien n’avait permis à la population d’anticiper une telle attaque, ces attentats ont constitué un choc majeur dans la société américaine comme dans une grande partie du monde.

C’est le cœur même de l’économie américaine, considéré comme le centre névralgique de la finance et le symbole de l’économie de marché qui est ainsi touché. Ces attaques sont […] une remise en cause de l’image de la suprématie américaine mais également du modèle de société et de développement économique prôné par les nations démocratiques et libérales. […]

[Les] guerres, lancées au nom de la défense de la démocratie, ont conduit les Américains à douter de la pertinence et de l’efficacité de leurs propres institutions. Car en même temps que les guerres d’Afghanistan et d’Irak échouaient à atteindre leur objectif de démocratisation, un régime autoritaire affichait de telles performances sur le plan économique qu’il menace aujourd’hui la domination américaine, la Chine. Les certitudes des Américains à la fin du XXe siècle sur leur statut de superpuissance incontestée et sur la prédominance de leurs institutions ont ainsi laissé place à des doutes qui sont nés des cendres du 11 septembre 2001.

… ont révélé et accentué les défis intérieurs…

La crise économique et sanitaire a mis en lumière les inégalités raciales qui perdurent aux États-Unis depuis des décennies et qui se sont renforcées depuis 2010, en particulier vis-à‑vis des populations hispanique et afro-américaine. En 2017, un Afro-Américain touchait en moyenne 66 % du salaire annuel d’un « Blanc ». En 2019, le patrimoine médian était de 188 200 dollars pour un ménage « Blanc » et de seulement 24 100 dollars pour un ménage « Noir ».

Malgré une baisse historique du taux de pauvreté des minorités, la crise sanitaire est arrivée dans un contexte où les inégalités de revenus attribuables à l’appartenance ethnique, demeurées particulièrement élevées dans les régions des anciens États confédérés, étaient en augmentation depuis 2010 au niveau fédéral. Si la résilience de l’économie américaine, portée par la flexibilité de son marché du travail, lui permet de rebondir fortement dès la réouverture de l’économie à la mi-2020, la crise sanitaire a exacerbé les stigmates des inégalités ethniques, fortes dans l’accès à l’éducation comme sur le marché du travail, ce qui se traduit par des niveaux de vie plus faibles et des conditions de santé moins favorables pour résister au virus.

[L]e taux de chômage des Afro-Américains est toujours plus élevé que celui des Hispaniques, lui-même supérieur à celui des Blancs. Finalement, ce sont les Asiatiques qui connaissent généralement les taux de chômage les plus faibles, mais à peine inférieurs à ceux des Blancs. Il faut également noter qu’en cas de conjoncture particulièrement favorable, lorsque le taux de chômage moyen est faible, celui des Hispaniques converge vers celui des Blancs.

Ce phénomène s’observe avant la crise des subprimes, avant la crise Covid et dans le cadre de la forte reprise qui suit la crise sanitaire. Lorsqu’il devient difficile de trouver des salariés, les entreprises deviendraient donc susceptibles d’embaucher des Hispaniques plus facilement, ce qui ne semble pas être le cas des Afro-Américains. Leur taux de chômage reste très supérieur à celui des autres communautés, même en période économique favorable. Évidemment, tous les écarts observés ne sont pas directement liés à l’appartenance à telle ou telle communauté, mais s’expliquent aussi par les autres caractéristiques qui y sont régulièrement associées, et notamment par les niveaux d’éducation moyens des uns et des autres.

Comme dans la plupart des pays occidentaux, la dette américaine s’est envolée au cours des dernières décennies. L’évolution de cette dette s’explique largement par la succession de crises économiques auxquelles les États-Unis ont été confrontés, mais elle revêt des caractéristiques spécifiques. Car ce n’est pas seulement la dette publique fédérale qui s’envole, mais également la dette privée en particulier celle des ménages, à travers l’excès de crédits garantis sur l’immobilier (crédits hypothécaires) brutalement révélé par la crise des subprimes en 2007 et à travers une augmentation inquiétante des emprunts étudiants, en particulier sur les dix dernières années.

La dette publique fédérale est un sujet très politique, car le relèvement de son plafond nécessite l’approbation du Congrès, ce qui peut donner lieu à des blocages plus ou moins longs de l’administration en cas de désaccord. En dépit des oppositions régulières sur cette question entre l’exécutif et le Congrès, le plafond de la dette n’a cessé d’augmenter, ce qui fait douter certains observateurs de l’efficacité d’un dispositif de contrôle qui n’a jamais réellement permis de limiter le poids de la dette. La question de la dette fédérale américaine s’invite aussi dans l’actualité géopolitique. En effet, bien que la plus grande partie de cette dette soit détenue aux États-Unis, la Chine est l’un des deux principaux détenteurs de la part extérieure de la dette fédérale depuis plusieurs années déjà, ce qui accentue l’interdépendance de ces deux économies.

… et les enjeux internationaux

[L]’important déficit commercial des États-Unis vis-à‑vis de la Chine pèse sur les gouvernements américains successifs, car l’opinion publique voit désormais dans l’Empire du Milieu l’ennemi de l’emploi américain. La société de consommation américaine se heurte en effet à un paradoxe somme toute assez commun : la volonté d’abondance de biens bon marché que la Chine excelle à lui fournir depuis des années s’accompagne mal de la préservation d’un tissu industriel national pourvoyeur d’emplois bien rémunérés.

Cette inquiétude de l’opinion publique américaine est compréhensible. Depuis les années 1990, la Chine a toujours beaucoup exporté vers les États-Unis. Selon une étude […], plus de 2 millions d’emplois industriels américains ont été détruits entre 1999 et 2011 du fait des importations de biens chinois. C’est en considérant l’importance de la Chine dans le total des importations américaines que l’on comprend le mieux l’ampleur des tensions commerciales sous la mandature de Donald Trump.

En effet, les importations en provenance de la Chine ne représentaient que 5,58 % l’ensemble des importations américaines en 1993, loin derrière celles en provenance du Canada (18,83 %), du Japon (18,31 %) et du Mexique (6,75 %). Ce chiffre est ensuite en constante augmentation. En 2002, la Chine devient le 2e partenaire des États-Unis en matière d’importations devant le Mexique, puis son 1er partenaire en 2006 avec 16,25 % des importations. Les importations de produits chinois atteignent presque 22 % du total des importations des États-Unis en 2018. On comprend de ces quelques statistiques que les États-Unis souhaitent rééquilibrer leurs échanges commerciaux avec la Chine.The Conversation

Thérèse Rebière, Professeur des Universités en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et Isabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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