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Aux États-Unis, la bombe à retardement du Covid-19
Thérèse Rebière Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Isabelle Lebon Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen Normandie
À moins de quatre mois de l’élection présidentielle, l’épidémie de Covid-19 fait peser une forte incertitude sur l’avenir économique et social des États-Unis. Rien ne permet en effet de garantir que la reprise de l’activité puisse résister longtemps à la circulation incontrôlée du virus. Les conséquences seront d’ordre sanitaire, social, économique et peut-être aussi politique.
Coronavirus Covid-19
La résurgence du Covid-19
Dans la deuxième semaine de juillet, le nombre quotidien de décès dus au Covid-19 sur le sol américain est reparti à la hausse. Un cinglant camouflet pour Donald Trump qui tweetait encore le 9 juillet que la hausse des cas détectés était uniquement liée au nombre de tests effectués, alors même que les experts s’accordaient pour dire que les contaminations augmentaient bien plus vite que les tests.
Quoi qu’en dise le président, certains États, pour la plupart républicains, envoient des signaux particulièrement préoccupants. L’évolution de la situation dans les hôpitaux, publiée jusqu’au 13 juillet par le CDC (Centers for Disease Control and Prevention), en est un bon indicateur. L’administration Trump a décidé que la remontée de cette information ne serait désormais plus réalisée par le CDC mais confiée à des organismes privés, ce qui suscite une vive polémique.
Le 13 juillet, 25,2 % des lits hospitaliers de l’Arizona sont occupés par des « patients Covid-19 » (suspectés ou testés positifs) contre 8,1 % au niveau fédéral. En comparaison, le New Jersey avait atteint 46 % à la mi-avril, au pic de l’épidémie, pour retomber à 3,3 %.
Beaucoup d’États du sud, dont le Texas, la Floride et la Géorgie, connaissent également depuis plus d’un mois une inquiétante montée des cas, ce qui aboutit à un taux d’occupation des lits de soins intensifs très élevé (souvent supérieur à 70 %). Malgré un nombre de lits en soins intensifs largement supérieur à la moyenne fédérale, même la Floride fait face à l’engorgement rapide de son système de soins : sur les 205 hôpitaux disposant de tels équipements, 48 sont arrivés à saturation de leurs capacités au 18 juillet.
Les États actuellement confrontés à la flambée du virus ont été plutôt épargnés par la première phase épidémique ; c’est pourquoi ils avaient alors adopté des mesures de confinement peu strictes, suivies de réouvertures rapides. Sans les tendances illustrées par les graphiques précédents, cette impression pourrait presque persister. Au Texas par exemple, le nombre de décès pour 100 000 habitants au 17 juillet n’est encore que de 13, loin des 176 du New Jersey ou même des 68 du Royaume-Uni.
Mais l’expérience des villes de la côte est et des pays européens laisse justement augurer d’une hausse rapide des chiffres de la mortalité dans les États du sud, si aucune disposition n’est prise pour tenter d’endiguer le développement de la maladie. Des raisons idéologiques, politiques et économiques limitent cependant la mise en œuvre de restrictions, notamment dans les États républicains où les gouverneurs s’opposent voire contestent devant les autorités judiciaires les décisions prises par les maires.
Réouverture accélérée : un rebond inespéré de l’emploi
La réouverture accélérée d’une grande partie des États américains a permis une indéniable reprise de l’activité à la fin du 2e trimestre. Faisant mentir les prévisions catastrophistes, l’emploi a commencé à se redresser en mai après une chute vertigineuse. De 3,5 % en février à 14,7 % en avril, le taux de chômage est redescendu à 11,1 % en juin.
Cette reprise reste cependant incertaine. En juin, le FMI prévoit une baisse du PIB de 8 % pour l’année en cours, suivie d’un rebond autour de 6 % en 2021. Goldman Sachs table plutôt sur une récession qui pourrait se limiter à 4,2 % en 2020, à condition qu’un plan supplémentaire de soutien aux ménages et aux entreprises soit rapidement mis en œuvre. Or ce nouveau plan reste en suspens pour des raisons politiques. Alors que Donald Trump envisage un plan à 2 000 milliards de dollars, la Chambre des Représentants à majorité démocrate a voté en mai un « Heroes Act » à 3 000 milliards, plan depuis bloqué par le Sénat (dominé par les républicains) qui souhaite limiter à 1 000 milliards de dollars le montant des aides additionnelles.
Après la destruction colossale de 22,2 millions d’emplois non agricoles sur la période mars-avril 2020, la reprise de l’activité a permis la création de 2,7 et 4,8 millions d’emplois respectivement en mai et juin. Particulièrement dynamiques, la construction, l’industrie ou le commerce de détail ont rattrapé en deux mois plus de la moitié des emplois perdus. Dans l’hébergement et les loisirs, secteur qui fait travailler un Américain sur dix, ce sont 42 % des 8,3 millions d’emplois perdus qui ont été récupérés. D’autres secteurs sont plus à la peine, comme les transports et les activités financières, qui commencent à peine à recréer des emplois, ou bien les exploitations minières et forestières, qui continuent à en détruire.
« Black Lives Matter » : des inégalités qui concernent aussi l’emploi
Les minorités ethniques, notamment les Noirs, souffrent particulièrement de la crise actuelle qui leur inflige en quelque sorte une double peine. Occupant souvent des emplois peu qualifiés et peu compatibles avec le télétravail, elles sont davantage exposées au risque d’une contamination par le coronavirus, mais également au licenciement et à la difficulté de retrouver un emploi. Une grande proportion des personnes concernées sont mal couvertes contre la maladie et surreprésentées dans les populations à facteurs de comorbidité.
Sur le plan sanitaire, le CDC estime que le risque d’hospitalisation pour cause de Covid-19 des Afro-Américains est cinq fois plus élevé que celui des Blancs.
Sur le plan économique, les écarts de taux de chômage se creusent entre les communautés, avec une hausse de 7 points entre février et juin pour les Blancs, contre 9,6 points pour les Noirs, 10,1 points pour les Hispaniques et même 11,3 points pour les Asiatiques. Le taux le plus élevé concerne toujours les Noirs : il a atteint son pic au mois de mai avec 16,8 %, pour une moyenne nationale de 13,3 %.
Ce constat intervient dans un climat de tensions raciales incarné par la série de vastes manifestations pour la plupart pacifiques du mouvement BLM, faisant suite au décès de George Floyd fin mai. En 1992 déjà, lors de la récession provoquée par la guerre du Golfe, l’acquittement de quatre policiers blancs accusés d’avoir passé à tabac un jeune Noir, Rodney King, avait provoqué les émeutes de Los Angeles. Ces deux événements ont certes pour point commun les violences policières envers les Noirs, mais aussi leur survenue dans une période de difficultés économiques aggravant la pauvreté qui frappe les minorités.
La crise est en outre arrivée dans un contexte où les inégalités de revenus entre Noirs et Blancs augmentaient. Dans une étude en cours, nous montrons que la part des inégalités de revenus liées à l’appartenance ethnique reste plus élevée dans les régions correspondant aux anciens États confédérés et qu’elle s’accroît depuis 2010 au niveau fédéral. La crise économique actuelle risque fort d’accentuer cette tendance.
Présidentielle 2020 : le nerf de la guerre et le poids de l’actualité
L’histoire politique américaine montre que le montant des dépenses de campagne prédit mieux le résultat des élections que les sondages. Sur ce point, l’élection de Donald Trump en 2016 constitue une anomalie, car ni ses fonds de campagne ni les sondages ne le donnaient vainqueur.
Depuis la création en 1974 de la Federal Election Commission (FEC), qui encadre le financement des campagnes électorales, Donald Trump est le second candidat à avoir remporté la présidentielle avec des dépenses de campagne inférieures à celles de son opposant. Le premier avait été le démocrate Jimmy Carter, vainqueur du président républicain sortant Gerald Ford en 1976. Mais, à l’époque, l’économie américaine traversait une période de stagflation et de chômage élevé et, deux ans plus tôt, l’affaire du Watergate avait contraint Richard Nixon à la démission (Ford, qui était son vice-président, avait alors terminé le mandat). Ce contexte était favorable à un désir d’alternance.
Au contraire, en 2016, la fin de mandat de Barack Obama s’était accompagnée d’une belle dynamique de croissance et d’emploi qui aurait dû porter Hillary Clinton, la candidate démocrate, à la Maison Blanche. Pour expliquer cette anomalie électorale, certains avancent un changement de paradigme dans l’utilisation des fonds de campagne, avec un investissement croissant dans le numérique. Les fonds de campagne sont par ailleurs toujours plus colossaux. Depuis 2010, les candidats peuvent obtenir, de la part des entreprises et des particuliers, des financements sans limites via des dons à des Super-PAC (Political Action Commitee), privatisant ainsi la vie politique.
Cette fois, la crise sanitaire et économique ainsi que les tensions raciales pèsent comme une chape de plomb sur les ambitions de Donald Trump. En juin, pour la troisième semaine consécutive, Joe Biden a récolté davantage de fonds que lui. Le président est également fragilisé dans son propre camp par les activités du Lincoln Project, un super-PAC républicain prêt à tout pour le défaire. Ces républicains souhaitent préserver la démocratie et la Constitution qu’ils estiment bafouées par les actions de Donald Trump.
Signe des temps : fort d’un taux de chômage historiquement bas, Trump avait choisi dès 2017 comme slogan pour sa campagne de 2020 « Keep America Great »… un slogan à contretemps qu’il songe désormais à abandonner.
Thérèse Rebière, Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.