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Un portrait officiel en gilet jaune : humour irrévérencieux ou atteinte aux symboles républicains ?

Yvan Boude, rédacteur en chef du Cnam mag'

Publié le 3 janvier 2019 Mis à jour le 25 mars 2022

Le bruit médiatique a lentement essaimé. D’abord sur les réseaux sociaux où, très tôt après le début de la mobilisation des Gilets jaunes, les premiers détournements du portrait officiel d’Emmanuel Macron sont apparus. Puis dans la presse régionale lorsque ces photomontages se sont immiscés dans la vie municipale. À Genouillac comme à Phalsbourg, c’est par exemple l’ouverture d’un cahier de doléances qui s’est déroulée sous le regard d’un président de la République affublé d’un gilet jaune. À Boulogne, c’est une délégation de manifestants qui la coiffait symboliquement du même accessoire.

Un geste d’humour très symbolique

Si le journaliste des Dernières nouvelles d’Alsace évoquait alors « une touche d’humour irrévérencieuse », c’est pourtant bien un nouvel épisode d’une geste symbolique qui s’est joué dans ces communes. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard sur l’actualité des derniers mois : début octobre, des maires retournaient symboliquement les portraits d’Emmanuel Macron après que celui-ci a refusé de les recevoir lors de sa visite à Égletons ; fin septembre, d’autres élus les avaient décrochés avant de les déposer devant la sous-préfecture de Châteauroux, pour manifester leur soutien au maintien de la maternité d’une commune de l’Indre

Ce qui se joue autour de cette photographie serait donc bien plus qu’une blague de potache ou qu’un éphémère canular. Pour en saisir tous les sens, il faut toutefois non pas examiner uniquement ce que cette image nous donne à voir, mais aussi interroger les moments clés de son existence, de sa création aux conditions de sa diffusion.

Représenter le souverain

Le portrait officiel apparaît véritablement au tournant du XIXe siècle, lorsque le portrait d’apparat, vulgarisation de la personnalité physique du souverain autant que figuration de son autorité et dramatisation de son règne, s’affiche dans les lieux où s’exprime le pouvoir et où se prennent les décisions. Sous Louis XVIII d’abord, lorsque les communes disposant de ressources suffisantes furent invitées à en faire « l’inauguration et offrir à leurs administrés l’image du meilleur des rois ».

Sous Louis-Philippe ensuite, lorsque les commandes, provenant d’administrations toujours plus nombreuse, de reproductions de son portrait peint par François Gérard furent honorées. Sous le Second Empire enfin, lorsqu’un programme prévoyant l’attribution gracieuse de plus de deux mille copies du tableau de Franz-Xaver Winterhalter sera mis en place – programme qui se heurtera cependant aux coûts comme aux difficultés d’approvisionnement.

Du portrait au symbole

En réponse à la nécessité de briser les attaches émotionnelles qui lient le portrait de Napoléon III à l’incarnation omniprésente d’un pouvoir et d’un régime, la République naissante s’inspirera des principes imaginés par ses aînées. La mise en représentation du pouvoir abandonnera ainsi l’apparence du chef au profit d’une figure abstraite et l’on frappera les premières pièces de monnaie à l’effigie de Marianne seulement trois jours après le 4 septembre 1870. De portrait officiel, il n’en est pas encore question. Le général Trochu n’occupe qu’une fonction provisoire, nécessairement appelée à disparaître.

Et l’Assemblée, à majorité monarchiste, attend surtout le couronnement du comte de Chambord. Ce ne sont pas non plus les deux premiers Présidents – Adolphe Thiers, tardivement rallié à la République conservatrice, puis Patrice de Mac-Mahon, monarchiste de cœur qui confiera le gouvernement au duc de Broglie, chef de file des orléanistes – ni l’extrême personnalisation de la fonction présidentielle qui satisferont les exigences les plus républicaines.

La République dans chaque commune

Il faudra ainsi attendre Jules Grévy pour que le président de la République bénéficie d’un portrait officiel profitant de l’adoption des lois constitutionnelles qui affirmeront définitivement le caractère républicain des institutions et définiront une fonction présidentielle derrière laquelle s’effacera son titulaire ; de la « révolution des mairies » aux majorités municipales désormais républicaines ; de la loi de 1884 enfin qui imposera à chaque commune une salle pour le Conseil municipal. En l’absence de dispositif d’allocation systématique comme d’obligation d’affichage, l’arrivée au cœur de la maison commune sera toutefois progressive, conditionnée à une commande des conseils municipaux comme à l’accord de l’administration préfectorale.

Ce n’est qu’au début de la Quatrième République que le gouvernement tentera de formaliser cette tradition républicaine afin de remplacer les effigies du maréchal Pétain et du général de Gaulle qui peuplaient encore les murs de nombreuses municipalités. Devant l’échec d’un premier essai par l’intermédiaire des préfectures et contre remboursement du prix d’achat – en juin 1948, seulement 2 692 communes disposaient d’un portrait de Vincent Auriol – un nouveau dispositif fut arrêté. Désormais, un exemplaire sera gratuitement mis à la disposition de l’ensemble des services déconcentrés de l’État et des collectivités territoriales par la Documentation française, détentrice de l’exclusivité des droits de diffusion et d’exploitation.

Portrait « officiel » (ou pas)

Le portrait officiel ne dispose donc d’aucun fondement « officiel », et ce malgré de nombreuses tentatives pour en faire plus qu’une tradition républicaine. La proposition de loi tendant à rendre sa présence obligatoire dans toutes les mairies, déposée en décembre 1959 par le député gaulliste René Plazanet, restera par exemple lettre morte. Tout comme les questions récurrentes posées au gouvernement qui attirent l’attention « sur le cas des rares maires qui, pour des raisons strictement politiques, refusent d’accrocher le portrait officiel » ou encouragent le ministre de l’Intérieur à contraindre les mairies à l’afficher dans la salle commune.

Contrairement à ce qu’affirme une des personnes interviewées par La Voix du Nord en déclarant que lorsqu’on « porte atteinte aux symboles de la République, comme peut l’être l’image d’un président de la République élu au suffrage universel, on porte atteinte à la République elle-même », l’effigie présidentielle n’est donc en rien un symbole officiel de la République – la Constitution ne reconnaissant d’ailleurs que le « bleu, blanc, rouge » comme drapeau, la Marseillaise comme hymne national et la trilogie « Liberté, Égalité, Fraternité » comme devise.

Mais, si l’effigie présidentielle n’est pas un symbole de la République, de quoi est-elle finalement la représentation ? De Jules Grévy à Georges Pompidou, elle offre une mise en scène uniformisée et institutionnalisée de la fonction présidentielle : le portrait interchangeable d’un homme en majesté, portant sous son frac noir le grand cordon moiré et sur sa poitrine la plaque de grand’croix de la Légion d’honneur.

La fiction républicaine d’une fonction présidentielle qui transcenderait l’homme qui l’occupe à travers l’exemple d’une carte postale à système. Coll. personnelle

Une fonction et une fiction

Il s’agissait alors de sacraliser la fonction présidentielle à travers un dispositif symbolique traduisant, par-delà les changements de personne, une charge et un statut. En abandonnant cette mise en représentation impersonnelle de la fonction présidentielle pour un « instantané » plus intime – François Mitterrand dans « sa » bibliothèque, Jacques Chirac ou François Hollande dans « leur » jardin – le portrait officiel suit certes la présidentialisation de la vie politique.

Mais surtout, il délaisse la fiction républicaine d’une charge qui transcenderait l’homme qui l’incarne au profit d’une fiction politique d’un homme qui transcenderait la fonction qu’il occupe. Le passage d’une mise en représentation du pouvoir à une présentation de son titulaire, semble donner raison aux républicains les plus radicaux qui, sous la Troisième République, voyaient dans cette photographie une dérive vers une personnalisation de la fonction présidentielle et une personnification du pouvoir.

Ce basculement de ce que nous donne à voir le portrait officiel du président de la République, tout comme l’absence de texte encadrant son statut, explique pour une large part que cette image soit devenue le symbole le plus courant pour contester l’homme qui incarne la fonction présidentielle comme la politique qu’il conduit.The Conversation

Yvan Boude, Docteur en Sciences politiques et ingénieur de recherche, spécialiste de communication politique, Directeur de la communication

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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