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De Clovis à nos jours, le long combat de la laïcité

Alain Bauer, professeur de Criminologie

Publié le 20 octobre 2020 Mis à jour le 25 mars 2022

Dans un ouvrage déjà ancien (Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire), nous démontrions qu’il est très rare de se trouver confrontés à une « surprise » en matière de terrorisme. La révolution stratégique provoquée par l’apparition de l’État islamique a conforté et amplifié cette analyse, alors que l’organisation proclame régulièrement sur de nombreux supports médiatiques cibles et moyens à utiliser pour les atteindre…

Alain Bauer

Alain Bauer

Un peu partout dans le monde, les enseignants sont victimes de mises en cause physiques ou morales.

Il est toujours très difficile de parler de Darwin et des théories de l’évolution aux États-Unis. Il est presque impossible de sortir d’une école coranique dans de nombreuses régions du Pakistan. Et on assassine les enseignants ou les élèves, notamment les jeunes filles, qui osent enseigner ou venir à l’école en Afghanistan.

Au Nigeria ou au nord Cameroun, l’organisation Boko Haram, qui s’appelle en réalité Book Haram (les livres sont impurs), se donne pour mission fondatrice de lutter contre l’école publique sécularisée.

En fait, le combat laïque n’a jamais été aisé. Celles et ceux qui revivent aujourd’hui la lente transition française vers la liberté de conscience en ont hélas une faible mémoire historique.

Le rôle de l’Église catholique

Depuis le baptême de Clovis en 498, la culture du pouvoir en France improprement appelée gallicane – elle est franque en réalité car rattachée aux peuplades germaniques (les Francs) qui conquirent la Gaule au Ve et VIe siècle – explique sans doute un irrédentisme national qui portait moins sur la nature de la foi que sur son expression politique.

Ce compromis entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel va être renforcé par l’éclatement de l’Empire de Charlemagne et le maintien d’une seule colonne vertébrale pour la société féodale : l’Église catholique.

Cette dernière devient une très importante opératrice des services publics locaux. Elle investit, ordonne, spécule, exploite. La monarchie en prendra ombrage et Philippe Le Bel y mettra bon ordre en installant le Pape à Avignon en 1309. La religion reste d’État, la France devient la fille aînée de l’Église. Elle a laissé détruire les Cathares, autant par détestation religieuse que pour contraindre le Comté de Toulouse. Mais tout est sous contrôle.

Les 95 thèses, martelées sur les portes de l’église de la Toussant à Wittenberg par Martin Luther en 1517 ouvrirent la porte à un schisme, la progression rapide du protestantisme, et un « génocide » oublié, la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. L’un des survivants de ce massacre, Henri IV, proclamera l’Édit de Nantes en 1598. Et pour le malheur du pays et le bonheur de ses voisins, il fut révoqué par un Louis XIV au soleil pâlissant, en 1685.

Séparation de l’Église et de l’État

La Révolution française imposera la première rupture avec l’Église catholique, en inscrivant dans la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789 : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] ». On notera le « même » arraché de haute lutte tant la rancœur contre le haut clergé était forte. Depuis les grandes jacqueries de 1348, on brûlait des châteaux, mais aussi beaucoup de presbytères et quelques autres résidences ecclésiastiques…

L’Église est « nationalisée » à la fois dans ses biens mais aussi dans sa structure et sa culture. Blasphème, sorcellerie, hérésie, disparaissent du Code pénal. L’État civil, créé en 1539 par François Ier, mais administré par le clergé, est civilisé. Le 21 février 1795, la première séparation de l’Église et de l’État est proclamée.

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète notamment que « conformément à l’article VII de la Déclaration des droits de l’Homme, et à l’article CXXII de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II. La République n’en salarie aucun. III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres. IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice ».

Le texte précise également que « tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées » et qu’« aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit ».

Toute la loi de 1905 est déjà là.

Laïcisation heurtée

Bonaparte devenu Napoléon rétablira le dialogue avec l’Église de Rome en signant un Concordat en 1801 avec le pape. L’Église catholique n’est plus que l’« Église de la grande majorité des Français ». Les prêtres sont salariés par l’État et soumis aux autorités françaises. La religion devient un service public qui s’étend au protestantisme puis au judaïsme. La Restauration (1814-1848) rétablira pour un temps le catholicisme comme religion de l’État. En 1850, la loi Falloux donne à l’Église un droit de direction dans les écoles primaires.

Mais les républicains, les radicaux et les laïques attendent leur heure. La défaite de l’Empire en 1871 et la proclamation de la République en 1877 permettra une laïcisation heurtée grâce à l’action de Jules Ferry, ministre de l’instruction publique.

Entre 1881 et 1886, l’école publique devient gratuite, l’instruction devient obligatoire de 6 à 13 ans, l’Église en est sortie. Les lycées et les collèges s’ouvrent aux jeunes filles, le personnel enseignant est laïcisé et l’enseignement religieux exclu des heures de cours. De plus, l’enseignement de la morale civique devient obligatoire.

La loi de 1905

C’est une laïcité dynamique et combattante qui s’affirme et par effet mécanique de conflit. Les relations diplomatiques sont rompues avec la Cité du Vatican en 1904.

En 1905, malgré la pugnacité des radicaux, c’est une loi de compromis et de liberté d’exercice des cultes qui sera adoptée sous l’impulsion de Jean Jaurès dont la formule « La France n’est pas schismatique, elle doit être révolutionnaire » marquera la défaite des radicaux les plus déterminés et la victoire d’Aristide Briand et de Ferdinand Buisson, les pacificateurs.

On y trouvera notamment, pour celles et ceux qui commentent souvent ce texte sans l’avoir bien lu, un titre particulièrement précis sur la nature exacte de cette loi qui est moins un texte de séparation que de libre exercice sous contrôle.

Dans le titre V, sous l’intitulé « Police des cultes », il est notamment précisé que « les réunions pour la célébration d’un culte… restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » et que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».

Voici ce qu’est donc cette laïcité sans adjectif, dont les défenseurs sont des laïques et qui est devenue un principe constitutionnel en 1958 dans l’article 1er de la Constitution et en 2013 seulement quand le Conseil constitutionnel donnera à certaines dispositions de la loi de 1905 une « valeur constitutionnelle ».

La question de l’Islam

La question juive ou musulmane fit l’objet d’évolutions controversées, parfois heureuses (émancipation sous la révolution, grand sanhédrin sous Napoléon mais honteux statut sous la collaboration pour les israélites, indigénat et exploitation).

Mais un accord unanime fut trouvé pour créer la société des Habous et Lieux saints de l’Islam (dite Grande Mosquée de Paris) en 1921 avec subvention publique et souscription nationale sous la conduite du Maréchal Lyautey afin de rendre hommage aux « soldats musulmans morts pour la France ».

Les laïques de 1905, qui insistent sur la « rupture » avec les Églises font cependant un effort, au nom du sang versé, et grâce à Lyautey (qui lui-même souhaitait établir un Califat pro-français) et aident à la création d’un Islam de France et pas seulement en France.

La décolonisation poussera à une sous-traitance de l’Islam vers les nouveaux États devenus indépendants dans une « communauté » qui perdra peu à peu de sa réalité.

Se mobiliser pour la laïcité

Mais cette laïcité est-elle aussi neutre qu’on l’affirme haut et fort ? Peut-elle être plurielle ? Peut-elle résister aux assauts intégristes, communautaristes, djihadistes ?

Toute son histoire prouve que la laïcité n’est pas un autre culte. Qu’elle n’est pas une excuse à l’ignorance. Qu’elle impose le respect des croyants et des non croyants. Qu’elle n’est pas l’ennemie de la foi ou de la spiritualité. Les Républicains « atypiques » du XIXe siècle l’avaient bien démontré. Et on oublie souvent que la Déclaration des Droits de l’Homme est placée « sous les auspices de l’Être Suprême ».

En 2002, le rapport de Régis Debray expliquait déjà les risques, pressions et dangers qui menaçaient l’école publique, les valeurs républicaines et la société du vivre ensemble, qui semble devenir celle du côte à côte et du face à face.

Cette laïcité mérite une mobilisation, un rassemblement et une action. Plus de neutralité molle. Une dynamique. De Chrétiens, de Juifs, de Musulmans, de Boudhistes, d’Orthodoxes, d’Agnostiques, d’Athées. De Laïques, de Républicain·e·s, de Citoyen·e·s.

Il est plus que temps.The Conversation

Alain Bauer, Professeur de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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